Ordre de grandeur : sur la distinction critique entre l’identité auto-déclarée et la prévalence clinique de la dysphorie de genre chez les adolescents : un commentaire méthodologique
- La Petite Sirène
- il y a 2 heures
- 10 min de lecture
Lauren Schwartz & M. Lal
Publié en ligne : 1er octobre 2025
Trad. Fr.
Introduction : une confusion méthodologique en médecine du genre
Ces dernières années, une question méthodologique importante est apparue dans la recherche en médecine du genre : la confusion entre l’auto-identification transgenre à l’échelle de la population et la prévalence clinique de la dysphorie de genre. Cela est illustré par la « Evidence-Based Critique of the Cass Review » produite par l’Integrity Project de la faculté de droit de Yale (McNamara et al., 2024). L’influence de ce document découle non seulement de son utilisation dans les débats juridiques et politiques¹, mais aussi de l’expertise revendiquée par ses auteurs – un total cumulé de « 86 années d’expérience dans les soins apportés à plus de 4 800 jeunes transgenres » et « 278 publications évaluées par des pairs, dont 168 dans le domaine des soins affirmatifs de genre » (p. 3) – ce qui rend une critique méthodologique de leurs affirmations indispensable.
Plus important encore, il ne s’agit pas d’un problème isolé ; la même confusion méthodologique semble désormais influencer la pratique clinique et la recherche médicale. Bien que la distinction entre une identité non clinique et un diagnostic clinique soit largement reconnue, l’ampleur de cette confusion en pratique — de un à deux ordres de grandeur — et son potentiel à placer des jeunes non cliniques sur une trajectoire menant à des interventions médicales irréversibles ont été dangereusement sous-estimés. La contribution principale de cette lettre est de quantifier cet écart et de souligner l’urgence clinique et éthique qui en découle.
McNamara et al. (2024) avancent que, contrairement aux affirmations de la Cass Review (Cass, 2024), le Gender Identity Development Service (GIDS) du Royaume-Uni n’a pas été submergé de cas. Plus précisément, ils affirment que l’on « peut supposer en toute sécurité que moins de 10 % de tous les jeunes qui pourraient bénéficier de soins ont eu la possibilité d’y accéder » (p. 18). Pour justifier ce chiffre de 0,6 %, les auteurs affirment qu’il est distinct de l’augmentation des taux d’auto-identification et qu’il représente une population clinique stable. Cependant, ce chiffre a été obtenu en arrondissant simplement les 0,54 % de répondants au recensement britannique de 2021 qui s’étaient auto-identifiés comme transgenres (Office for National Statistics, 2021). Cela constitue une substitution méthodologique d’une mesure auto-rapportée non clinique à une estimation de prévalence clinique, alors même que McNamara et al. (2024) affirmaient explicitement le contraire.
Ce n’est pas une distinction triviale, et l’utilisation d’estimations cliniques appropriées révèle un tableau radicalement différent, avec des implications éthiques considérables.
La distinction clinique vs non clinique
La distinction entre une population générale d’individus qui s’auto-identifient comme transgenres et la population clinique spécifique de ceux qui répondent aux critères diagnostiques de la dysphorie de genre est fondamentale. Aussi récemment qu’en 2021, une revue systématique commandée par la WPATH distinguait les études basées sur des « dossiers cliniques » de celles centrées sur « l’auto-déclaration au sein de populations non cliniques » (Baker et al., 2021, p. 2). Une autre revue systématique a souligné la nécessité de respecter des définitions de cas spécifiques, car les résultats peuvent varier d’« ordres de grandeur » entre les « diagnostics liés au transgenre » et « l’identité transgenre auto-déclarée » (Collin et al., 2016, p. 613).
Pour clarifier cette distinction, le DSM-5-TR propose les critères diagnostiques de la dysphorie de genre chez les adolescents et les adultes (American Psychiatric Association, 2022). Le diagnostic à l’adolescence et à l’âge adulte requiert une incongruence marquée entre le genre vécu/ressenti et le genre assigné, pendant au moins six mois, se manifestant par au moins deux des six critères spécifiques (par ex., un désir intense de se débarrasser de ses caractères sexuels primaires/secondaires). Pour que le diagnostic soit posé (Drescher, 2025), la condition doit également être associée à une « détresse cliniquement significative ou à une altération du fonctionnement social, professionnel, ou dans d’autres domaines importants » (American Psychiatric Association, 2022, p. 514).
Cette distinction est cruciale, car tous les adolescents qui s’identifient comme transgenres ne connaissent pas la détresse cliniquement significative qui, selon les directives établies, justifierait une intervention médicale (Turban, 2024). Comme l’a récemment précisé la division politique de la Société européenne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, l’incongruence de genre en soi n’est pas un trouble mental, et « toutes les personnes ayant une incongruence de genre ne connaissent pas de détresse ou de dysfonction » (Drobnič Radobuljac et al., 2024, p. 2011). La question pertinente n’est donc pas de savoir combien d’adolescents s’auto-identifient comme transgenres, mais quelle est la prévalence établie de la population clinique pour laquelle ces traitements médicaux ont été initialement développés.
Pour établir une base clinique, nous nous tournons vers trois revues complètes de la littérature, toutes publiées au cours de la dernière décennie et dont plusieurs auteurs ont contribué à la rédaction des Standards of Care, Version 8 (SOC8) de la WPATH (Coleman et al., 2022).
Arcelus et al. (2015) : cette revue systématique et méta-analyse de 21 études, rédigée par deux contributeurs des SOC8 de la WPATH, a trouvé une prévalence moyenne pondérée pour la population clinique du transsexualisme de 0,0046 %.
Collin et al. (2016) : cette revue systématique et méta-analyse de 27 études, rédigée par trois contributeurs des SOC8, a trouvé une méta-estimation pour les « diagnostics liés au transgenre » de 0,0068 %.
Goodman et al. (2019) : cette revue narrative, rédigée par six contributeurs des SOC8, a analysé 43 études et a trouvé une prévalence médiane de 0,00526 % pour ceux qui avaient « reçu ou demandé une thérapie chirurgicale ou hormonale d’affirmation de genre », et une prévalence médiane de 0,0075 % pour ceux qui avaient « reçu un diagnostic spécifique transgenre ».
Ces sources faisant autorité — toutes dans la dernière décennie — établissent une prévalence clinique historique cohérente allant d’environ 0,0046 % à 0,0075 %, soit entre 4,6 et 7,5 individus pour 100 000.
Il est important de reconnaître qu’il s’agit d’estimations, et que les dénominateurs utilisés pour calculer la prévalence dans ces revues varient. Les études incluses ont été menées dans différents pays et à différentes périodes. Par conséquent, la prévalence d’un pays ne peut être automatiquement extrapolée à un autre, et ces chiffres historiques doivent être interprétés avec ces limites à l’esprit. Cela dit, ils représentent néanmoins un consensus quant à l’ordre de grandeur des différentes prévalences ; de plus, ils reflètent l’opinion collective d’experts de premier plan dans ce domaine au cours des dernières années.
Bien qu’il soit plausible que la réduction de la stigmatisation ait contribué à des taux plus élevés de diagnostics de dysphorie de genre, l’ampleur de l’augmentation — souvent supérieure à un facteur 50 en quelques années — suggère que d’autres facteurs, au-delà d’un meilleur accès ou d’une sensibilisation accrue, pourraient être à l’œuvre. Les données historiques restent donc un point de référence utile pour évaluer l’ampleur de ce changement et la rigueur diagnostique de la pratique contemporaine.
Quantifier l’écart
Lorsque l’on compare cette fourchette de prévalence clinique établie au chiffre de 0,6 % utilisé par McNamara et al. (2024), l’écart est considérable. L’estimation de 0,6 % est 80 à 130 fois supérieure à la prévalence historiquement établie pour la population clinique.
Cette incohérence méthodologique apparaît également dans la littérature récente évaluée par les pairs. Une étude publiée dans JAMA Pediatrics (Hughes et al., 2025) a analysé des données d’assurances privées, rapportant qu’en 2022, environ 0,1 % des adolescents affiliés avaient reçu des hormones affirmatives de genre à l’âge de 17 ans. Tant les auteurs que la couverture médiatique qui a suivi ont qualifié ce chiffre de « rare » et de « très, très faible nombre » (Martínez et al., 2025). Cependant, ce taux de médicalisation « rare » est en réalité beaucoup plus élevé — 13 à 22 fois plus — que la base clinique établie. Cela suggère que, selon les mêmes experts alignés sur la WPATH que l’étude cite, plus de 93 % des adolescents recevant des hormones se situeraient en dehors de la population clinique pour laquelle ces traitements avaient été initialement développés.
Cette constatation impose une question difficile mais nécessaire au domaine :
Les cliniciens offrent-ils des soins compatissants, fondés sur des preuves, à tous les jeunes qui se présentent dans leurs cliniques, tout en identifiant correctement la grande majorité qui ne devrait pas être médicalisée — soit un ratio d’au moins dix pour un traité ?
Ou bien existe-t-il une sur-prescription systématique d’interventions médicales à une population massivement non clinique ?
Le Tableau 1 met en évidence cet écart frappant. Ce n’est pas un problème isolé. Cela reflète une tendance plus large dans la recherche récente qui utilise de vastes enquêtes anonymes en ligne — une méthode dont les limites sont connues et qui peut conduire à des conclusions trompeuses (Andrade, 2020). Le problème est encore accentué dans les enquêtes menées auprès d’adolescents, en particulier parce qu’elles sont exposées à des répondants malveillants qui peuvent revendiquer faussement une identité minoritaire tout en rapportant des taux extrêmes de comportements à risque, ce qui gonfle artificiellement les estimations de prévalence et des disparités de santé associées (Cimpian et al., 2018).
Par exemple, une étude récente affirmant un lien entre les lois « anti-transgenres » et les tentatives de suicide a utilisé un échantillon d’enquête de 35 196 adolescents âgés de 13 à 17 ans (Lee et al., 2024). Pour illustrer l’ampleur, en utilisant l’estimation moyenne pondérée d’Arcelus et al. (2015) de 0,0046 % et l’estimation du recensement américain d’environ 21,67 millions d’adolescents de 13 à 17 ans en 2023, la population clinique totale pour ce groupe d’âge aux États-Unis serait de moins de 1 000 individus (21 670 000 × 0,000046 ≈ 997).
Cela signifie que, même dans le scénario impossible où l’enquête aurait inclus chaque adolescent de la population clinique américaine, ses résultats seraient quand même portés par un échantillon composé d’au minimum 97 % de non-cliniques, rendant ses conclusions sur la population clinique statistiquement non valides.
Discussion : l’ombre diagnostique et les implications éthiques
Notre analyse ne remet pas en question la validité des identités de genre diverses ni la détresse réelle que certains jeunes peuvent ressentir. Notre préoccupation concerne plutôt la nécessité de garantir que les parcours médicaux soient appuyés sur des pratiques diagnostiques solides, afin de protéger tous les jeunes — en particulier ceux qui traversent des contextes développementaux et psychologiques complexes, liés au genre ou à d’autres facteurs.
On pourrait avancer que ces estimations récentes — même celles datant de 2019 — sont déjà dépassées. Toutefois, comme l’a noté la Cass Review (Cass, 2024), le rythme d’augmentation est « bien plus rapide que ce que l’on pourrait attendre d’une évolution normale de l’acceptation d’un groupe minoritaire » (p. 26). En effet, une étude de cohorte menée en Angleterre apporte des preuves empiriques de ce basculement rapide, documentant une augmentation par 52 du nombre de diagnostics de dysphorie de genre en soins primaires sur une décennie, passant de 0,0016 % en 2011 à 0,083 % en 2021 (Jarvis et al., 2025). Une hausse d’une telle ampleur suggère que ce qui est mesuré n’est pas seulement une augmentation d’une condition clinique auparavant connue, mais bien l’émergence d’un nouveau phénomène socioculturel.
La forte co-occurrence d’anxiété, de dépression et d’automutilation dans ces nouvelles cohortes soulève d’autres questions. La Cass Review a mis en garde contre le fait qu’« une focalisation exclusive sur le genre » crée la possibilité d’une « ombre diagnostique » (p. 200), où d’autres problèmes complexes de santé mentale sont éclipsés par la présentation de genre. D’autres chercheurs partagent cette inquiétude, notant qu’une focalisation unique sur le genre peut « ne traiter que la présentation symptomatique superficielle du patient » tout en « omettant de s’attaquer à des problèmes plus profonds » (Spencer & D’Angelo, 2025, p. 279).
Les changements diagnostiques récents, comme la suppression par la CIM-11 de la détresse en tant que critère de l’incongruence de genre, reflètent une évolution vers la dépathologisation. Si cela peut réduire certains obstacles aux soins, cela complique également le tableau clinique, en particulier chez les mineurs, où la variabilité développementale et les comorbidités sont fréquentes. Cela souligne la nécessité de protocoles diagnostiques structurés afin de prévenir une médicalisation prématurée ou inappropriée.
De telles questions ont des implications éthiques profondes pour la pratique médicale :
Non-malfaisance (Ne pas nuire) : si les cliniciens traitent des patients issus d’une « population non clinique » — ou si l’ombre diagnostique entraîne des erreurs d’attribution de la détresse — ils risquent de fournir des interventions médicales puissantes pour lesquelles l’analyse bénéfices/risques est inconnue et potentiellement défavorable (Bayraktar, 2025 ; Department of Health and Human Services, 2025 ; Drobnič Radobuljac et al., 2024 ; Schwartz et al., 2025).
Justice : appliquer des parcours médicaux à une population beaucoup plus large et indifférenciée soulève des questions de justice. Cela risque d’exceptionnaliser un groupe de jeunes et de les soumettre à des traitements pour lesquels les preuves d’un bénéfice à long terme sont faibles, comme l’a souligné la Cass Review (Cass, 2024).
Les partisans d’un accès élargi aux interventions affirmatives de genre avancent un argument de réduction des risques, en citant l’élévation des risques de suicide et de détérioration de la santé mentale lorsque les soins sont retardés. Bien que ces préoccupations soient valides et ne doivent pas être écartées, elles nécessitent aussi un examen attentif. Par exemple, une vaste étude de registre en Finlande menée par Ruuska et al. (2024) a montré que la mortalité par suicide dans cette population était corrélée à la sévérité des troubles psychiatriques sous-jacents, et non au fait que les patients aient ou non reçu des interventions médicales affirmatives de genre. Ce constat renforce encore la nécessité d’un diagnostic précis. Sans clarté diagnostique, nous risquons de proposer des interventions irréversibles à ceux dont la détresse pourrait découler d’autres sources, non prises en charge.
Conclusion
La confusion entre l’identité transgenre auto-rapportée et la dysphorie de genre clinique constitue une faille méthodologique majeure dans un corpus croissant de recherches. Les données présentées par McNamara et al. (2024), Hughes et al. (2025), Lee et al. (2024) et d’autres études récentes fournissent, involontairement, la preuve d’un profond changement dans la pratique clinique. Elles suggèrent qu’une majorité substantielle d’adolescents recevant actuellement des interventions hormonales n’auraient pas satisfait aux seuils diagnostiques établis pour un traitement il y a encore peu de temps.
En confondant une identité auto-rapportée non clinique avec un diagnostic clinique formel de dysphorie de genre, cette erreur méthodologique mine les principes de la médecine fondée sur les preuves. Il est impératif que chercheurs, cliniciens et décideurs reconnaissent cette distinction critique afin de garantir que les soins reposent éthiquement sur le principe de non-malfaisance et soient correctement ciblés vers ceux qui répondent à des critères diagnostiques clairs, évitant ainsi les risques d’« ombre diagnostique ».
Rétablir la clarté diagnostique pourrait impliquer d’exiger des évaluations multidisciplinaires avant toute intervention médicale, de mettre en place des outils psychométriques permettant de distinguer une dysphorie persistante d’une exploration identitaire transitoire, et de promouvoir un soutien en santé mentale fondé sur les preuves comme traitement de première intention. De telles mesures ne restreignent pas l’accès aux soins, mais visent à en garantir la pertinence et l’efficacité.
Ces enfants ne méritent rien de moins.