Les Jacobins de la médecine : comment le zèle idéologique met en péril l’intégrité professionnelle
- La Petite Sirène
- il y a 7 jours
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Déclaration d’intérêts : Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts.
Auteurs : Charles J. Lockwood : rédaction – brouillon original, révision et édition. Jay Wolfson : rédaction – révision et édition, brouillon original.
01 novembre 2025
Trad. FR.
Les Jacobins de la médecine : comment le zèle idéologique met en péril l’intégrité professionnelle
Les sociétés médicales professionnelles se définissaient autrefois uniquement par leur dévouement au mérite, à l’empirisme et à la libre recherche. Elles ont longtemps servi de conscience et de boussole de la médecine, façonnant la formation, la recherche, l’éthique et les standards de soins. Ces dernières années pourtant, beaucoup ont remplacé ces fondements par des orthodoxies politiques à la mode, promues sous la bannière de la justice sociale, confondant militantisme politique et leadership moral.
Cette ferveur morale, rappelant le zèle jacobin de la France révolutionnaire, privilégie la pureté idéologique à la prudence et punit la dissidence. Le refroidissement du débat et l’érosion de la confiance du public qui en résultent ont mis en péril la crédibilité de la médecine. Pour restaurer le professionnalisme, le domaine doit à nouveau faire passer la raison avant la vertu.
L’Association of American Medical Colleges (AAMC) : un exemple révélateur
Fondée en 1876 pour créer une voix unifiée pour la réforme de l’éducation médicale aux États-Unis, l’AAMC visait à renforcer la qualité, la cohérence et la rigueur scientifique de l’enseignement médical. Elle a ensuite œuvré à optimiser la recherche et la pratique universitaire.
Mais au cours des deux dernières décennies, par le biais de déclarations de direction, de publications, de dépôts d’amicus curiae et d’agendas de réunions de plus en plus chargés, elle a largement promu des positions de justice sociale insuffisamment validées, telles que la formation sur les préjugés inconscients parmi certains des professionnels les moins biaisés au monde, ou encore la « revue holistique » dans les admissions et promotions de professeurs au détriment de critères fondés sur le mérite. Peu d’occasions de signalement vertueux furent négligées — de l’imposition de l’usage de pronoms, au lien approximatif entre changement climatique et inégalités de santé, jusqu’à la dénonciation du colonialisme de peuplement.
Remettre en question de telles positions était perçu par de nombreux membres comme une invitation à la censure morale. La croyance ancienne selon laquelle le mérite prédit l’excellence fut recadrée comme élitiste ou exclusionnaire, et même de modestes réserves concernant des conventions linguistiques imposées, telles que « personnes enceintes », risquaient d’être étiquetées comme réactionnaires. Plutôt que de rester un laboratoire d’empirisme, l’association a cherché à devenir un instrument pur d’idéologie progressiste.
L’impulsion jacobine dans la vie professionnelle
Ce schéma rappelle les révolutionnaires jacobins du XVIIIe siècle en France. D’abord dévoués à la liberté, à l’égalité et à la fraternité, ils élevèrent bientôt l’absolutisme moral au service d’idéaux abstraits au-dessus de la prudence, et assimilèrent la dissidence à la trahison.
Les « Jacobins » professionnels modernes ont, jusqu’à récemment, manifesté une dynamique parallèle, exigeant l’adhésion à des doctrines contestées — sur la race, le genre, le colonialisme, l’environnementalisme et l’activisme politique en médecine — sous la bannière de la vertu.
Les médecins furent incités à affirmer, et non à débattre, des théories sociales complexes et à approuver des pratiques controversées comme les interventions irréversibles pour mineurs présentant une dysphorie de genre présumée. La certitude morale accompagnant ces positions rappelait la conviction révolutionnaire selon laquelle la droiture peut se substituer à la raison.
Pendant la pandémie de COVID-19, cette forme de « terreur culturelle » a atteint son apogée. Les cliniciens qui remettaient en cause les orthodoxies de santé publique non prouvées — telles que les confinements prolongés ou la fermeture des écoles — furent censurés ou dé-plateformés. La liberté académique, longtemps bouclier de la médecine pour la découverte et l’auto-correction, devint conditionnelle à l’acceptabilité politique. Cette suppression du débat n’a pas renforcé la santé publique ; elle a sapé la confiance du public.
Thermidor
Prévisiblement, comme dans la Révolution française, ces excès ont provoqué une réaction puissante — de la part de l’administration Trump, de législatures d’États conservateurs, de groupes de défense civique et de professionnels désabusés — un Thermidor moderne.
Pourtant, la réaction comporte ses propres dangers. En s’opposant à un activisme progressiste excessif, certains ont sapé des infrastructures scientifiques légitimes, telles que les programmes de surveillance des Centers for Disease Control and Prevention, favorisé un scepticisme potentiellement nocif à l’égard des vaccins pour enfants et formulé des affirmations douteuses sur les causes de l’autisme.
Quand la médecine devient un champ de bataille de conflits partisans, la science comme les patients en pâtissent.
La confiance du public dans la médecine a décliné en conséquence. Autrefois perçue comme une profession continuellement auto-correctrice et fondée sur les données, la médecine est désormais souvent considérée comme politisée — une perte qui menace son autorité morale et sa tribune d’influence.
Impératifs fiduciaires et éthiques
La plupart des sociétés professionnelles sont des organisations privées à but non lucratif ayant des devoirs fiduciaires envers leurs membres. Lorsque la direction promeut des agendas idéologiques sans large consentement, elle risque de trahir cette confiance. Les membres contraints à une conformité politique peuvent légitimement estimer que leurs droits d’association et d’expression sont compromis.
Supprimer le débat, c’est aussi supprimer les solutions. Les médecins s’accordent largement à dire que le système de santé américain fait face à des défis profonds en matière de coût, d’accès et de qualité, mais divergent souvent sur leurs causes et remèdes. Par exemple, plutôt que de se concentrer sur le racisme structurel présumé comme cause principale des disparités de santé — pour laquelle il n’existe aucun remède immédiat — ne serait-il pas plus raisonnable de cibler la mauvaise nutrition et l’obésité, facteurs empiriquement prouvés de ces écarts ? Bien que ces défis soient difficiles, ils ne sont pas insurmontables, surtout à l’ère des médicaments révolutionnaires pour la perte de poids.
Stigmatiser la dissidence ou fabriquer un consensus là où il n’en existe pas mine la plus grande force de la médecine : la discussion ouverte, fondée sur les preuves.
Le véritable leadership exige prudence et humilité, non absolutisme et fanatisme. Les problèmes sociaux complexes et les théories médicales émergentes demandent des preuves et du dialogue, pas du dogme. Une profession qui réduit au silence son propre débat ne peut pas enseigner à la société la valeur de la pensée critique.
Retrouver la mission fondamentale
La voie à suivre ne réside pas dans la réaction, mais dans la restauration. Les organisations professionnelles doivent retrouver leur objectif fondateur : faire progresser l’expertise, promouvoir la recherche et protéger la liberté académique. Leur crédibilité repose sur la compétence et la franchise, non sur la conformité.
Elles devraient accueillir le pluralisme des idées, assurer une gouvernance transparente et résister à la publication de manifestes politiques sous couvert d’éthique.
Réaffirmer le mérite et l’empirisme ne nie pas les inégalités ; cela garantit que les remèdes proposés répondent aux mêmes standards de preuve que toute intervention clinique solide.
Le professionnalisme lui-même est une posture morale, mais fondée sur l’humilité, non sur l’arrogance. La véritable vertu d’une profession ne réside pas dans ses déclarations politiques, mais dans son dévouement à la vérité, à la compassion et à la compétence.
Comme les Jacobins l’ont appris trop tard, la vertu imposée par la contrainte ne produit que la division. La médecine académique ne doit pas répéter cette erreur.




