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Tribune : Comment les combats LGBT sont menacés par leurs propres militants

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    La Petite Sirène
  • 1 juil.
  • 6 min de lecture

Par Céline Masson - Le Point - 30 juin 2025


TRIBUNE. Comment les excès idéologiques de certains militants LGBT + menacent de transformer une lutte émancipatrice en croisade contre toute forme de désaccord.


Dans une tribune publiée par le New York Times le 26 juin, Andrew Sullivan – l'un des premiers défenseurs américains du mariage homosexuel et se définissant comme gay plutôt à gauche – expose, comme l'indique le titre de son article (« How the Gay Rights Movement Radicalized, and Lost Its Way »), la dérive et la radicalisation du mouvement pour les droits des homosexuels.


Il m'a semblé important de faire connaître en France la réflexion de cet auteur, publiée dans l'un des journaux les plus lus des États-Unis, qui ouvre progressivement ses colonnes à des voix critiques à l'égard des mouvements radicaux issus de certaines minorités politiques.


En 2023, Human Rights Campaign – le plus grand groupe de défense des droits civiques des personnes gays, lesbiennes et transgenres aux États-Unis – a déclaré un « état d'urgence » pour ces populations, une première dans son histoire.


Toutefois, rappelle Sullivan, elle n'avait pas pris une telle mesure pendant l'épidémie de sida, qui a causé la mort de centaines de milliers d'homosexuels. Cette déclaration reposait presque exclusivement sur des lois relatives à la restriction de l'accès aux traitements médicaux pour les mineurs transidentifiés, sur les débats concernant l'usage des toilettes et vestiaires ou encore sur les questions trans dans les programmes scolaires et les compétitions sportives.


Abolir la binarité sexuelle pour toute la société ?


Sullivan écrit, qu'en 2012, les subventions des organisations gays, lesbiennes et transgenres s'élevaient à 387 millions de dollars [329 millions d'euros, NDLR], selon le Lilly Family School of Philanthropy de l'Université d'Indiana. En 2021, ce chiffre avait plus que doublé pour atteindre 823 millions de dollars [700 millions d'euros, NDLR].


Les membres des organisations LGBTQ + ont augmenté de 76 %. Les droits civiques des homosexuels et des lesbiennes ayant été acquis, ces augmentations de budget concernaient à présent une autre révolution, celle du genre dont le projet prétend vouloir supprimer toutes les limites perçues comme oppressives.


La binarité sexuelle associée à la « suprématie blanche » est remplacée par un spectre large de sexes, ce qui revient à supprimer la différence entre hommes et femmes. Sullivan s'interroge : « Mon orientation sexuelle repose sur une distinction biologique entre hommes et femmes : je suis attiré par les premiers, pas par les secondes. Et maintenant, j'étais censé croire que cette différence n'existait pas ? »


Par ailleurs, ce projet politique vise également le remplacement du sexe biologique par l'« identité de genre » aussi bien en médecine que dans l'éducation et sur le plan juridique. La « queeritude », posture subversive et idéologique, est investie comme une forme de libération identitaire, revendiquée dans certains espaces militants et culturels.


« J'accepte volontiers que certaines personnes […] ne correspondent pas à ce schéma binaire […] et je les soutiens pleinement. […] Mais abolir la binarité sexuelle pour toute la société ? C'est une tout autre histoire. Et une folie, je crois », constate-t-il, dépité.


Les mots « gay » et « lesbienne » ont disparu


Sullivan souligne que les mots « gay » et « lesbienne » ont quasiment disparu. LGBT est devenu LGBTQ, puis LGBTQ +, et d'autres lettres et caractères ont été ajoutés : LGBTQIA + ou 2S. LGBTQIA + (pour inclure les personnes intersexuées, asexuelles et bispirituelles autochtones).


Le signe « + » renvoyait à une infinité de nouvelles identités et, selon certains chiffres, à plus de 70 nouveaux « genres ». L'idée était qu'il s'agissait d'une communauté révolutionnaire et intersectionnelle de personnes de genres divers, étroitement liée à d'autres causes de gauche, de Black Lives Matter à Queers for Palestine.


Il leur fallait une nouvelle bannière. Le drapeau arc-en-ciel, créé en 1978 à la demande d'Harvey Milk [homme politique et militant américain pour les droits des personnes homosexuelles, assassiné en 1978 à San Francisco, NDLR] comme symbole d'unité et d'inclusion, a été progressivement remplacé par le drapeau dit « du Progrès », redessiné pour incarner l'idéologie de l'oppression intersectionnelle.


Des bandes noires et brunes ont été ajoutées pour représenter les personnes noires et métisses (ainsi que celles décédées pendant la crise du sida), et des bandes rose, bleu clair et blanc pour les personnes trans. Ce drapeau ne se contente plus de signifier un espace d'accueil pour tous, comme l'original : il désigne désormais un lieu idéologiquement marqué, où quiconque ne souscrit pas à la vision intersectionnelle de la gauche radicale est implicitement tenu à distance.


Le terme « queer » s'est imposé comme l'emblème de ce nouveau régime, signalant une rupture claire avec les anciens combats pour les droits civiques des gays, lesbiennes et trans. Pour bien des hommes gays de plus de 40 ans, le mot « queer » reste associé à une insulte entendue avant une agression. Pourtant, l'une des marques de fabrique de la jeune génération queer semble être le mépris assumé pour celles et ceux qui l'ont précédée.


Toute contradiction suscite l'anathème


Sullivan s'interroge : « Et si je redéfinissais l'hétérosexualité et l'imposais aux hétérosexuels ? Ou si je changeais ce que signifie être un homme ou une femme, d'ailleurs ? Alors, ce ne serait plus une adaptation à une minorité, mais une révolution sociétale – une exagération qui entraînerait bientôt une réaction violente et sensée, non seulement contre les personnes trans, mais aussi contre les homosexuels. »


Il fait le constat que ces groupes ont renié leur engagement et ont imposé à toute la société un changement radical à coups de slogans comme le fait que le sexe était assigné à la naissance et non constaté. Autre mantra selon lui : « Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes. » Ce n'est pas une proposition, c'est « un commandement théologique », dit-il.

Toute contradiction suscite l'anathème ; toute critique de l'idéologie du genre est vouée aux gémonies. Ceux qui osent s'exprimer sont réduits au silence, disqualifiés publiquement. L'intolérance fait loi, l'autocensure devient la norme. Sullivan parle d'une dérive autoritaire qui a franchi une ligne rouge : l'embrigadement des enfants.


Dès le plus jeune âge, on peut apprendre à des enfants qu'être fille ou garçon relevait d'un choix et qu'on pouvait en changer. Une transition sociale (changement de prénom et de pronom) est possible sans l'autorisation parentale (aux États-Unis).


Et, plus inquiétant encore, les soins d'affirmation de genre [bloqueurs de puberté et hormones croisées, NDLR] pour les mineurs qui ont des conséquences irréversibles. Sullivan a cru un temps qu'il fallait faire confiance aux médecins, il croyait que ces traitements sauvaient la vie de ces enfants selon la formule consacrée.


« Il n'y aura bientôt plus d'homosexuels »


« Comment peuvent-ils être sûrs que la dysphorie de genre n'est pas plutôt une manifestation de l'homosexualité et du désir de changer ? Comment peuvent-ils être sûrs qu'il n'y a pas un autre facteur personnel ou psychologique aggravant ? On m'a dit de ne pas m'inquiéter. Un enfant devait démontrer une identité trans “persistante, cohérente et insistante” pendant des années, ne serait-ce que pour qu'une intervention médicale soit envisagée. »


Et il poursuit ainsi : « Dès qu'un enfant déclarait être du sexe opposé, une thérapie et une exploration psychologique plus poussées étaient jugées problématiques, car cela équivalait à une thérapie de conversion transphobe, nous disait-on. Lorsque j'ai dit que cela semblait insensé et que nous avions sûrement besoin de plus de garanties, on m'a répondu sévèrement : “Les enfants savent qui ils sont.” »


Sullivan exprime ce que de nombreux parents d'adolescents nous ont eux-mêmes confié : les mêmes interrogations, la même confiance accordée aux médecins et à leurs relais militants. Il partage aussi le constat de plusieurs collectifs gays et lesbiens : bon nombre de jeunes souffrant de dysphorie de genre auraient grandi pour devenir gays ou lesbiennes. À la clinique pédiatrique du genre de la Tavistock Clinic – aujourd'hui fermée –, la plaisanterie qui circulait résumait bien la situation : au rythme où allaient les choses, « il n'y aurait bientôt plus d'homosexuels ».


Orthodoxie identitaire


Il nous paraissait important de donner un écho, en France, à cette tribune parue dans le New York Times car elle met en lumière le glissement d'un combat pour l'égalité vers une entreprise idéologique aux contours flous mais aux ambitions radicales.


Le mouvement LGBTQ +, tel qu'il se déploie aujourd'hui dans certaines sphères militantes, semble s'être éloigné de ses combats originels en essentialisant de nouvelles identités, en évacuant la question du sexe au profit d'une autodétermination purement subjective. Ce faisant, ce mouvement aux identités multiples tend à marginaliser les luttes sociales des homosexuels et lesbiennes, désormais reléguées au rang de figures historiques ou même de reliques du passé.


Plus inquiétant encore : l'effacement de toute possibilité de débat, au nom d'une orthodoxie identitaire devenue totalisante. Derrière les drapeaux bariolés et les acronymes toujours plus longs se profile une nouvelle forme d'intolérance, celle qui frappe ceux qui ne pensent pas « correctement », ou qui persistent à distinguer entre l'aspiration à la reconnaissance et l'imposition idéologique. Revenir à l'esprit des luttes fondatrices sans se laisser emporter par des dérives militantes devient alors un enjeu crucial : non pour renier les progrès accomplis, mais pour préserver leur sens.


*Céline Masson est codirectrice de l'Observatoire des discours idéologiques sur l'enfant et l'adolescent (OPS) et coautrice, avec Caroline Eliacheff, du livre « Le Sermon d'Hippocrate » (Éditions de l'Observatoire, 2025).

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