Magali Pignard : Autisme et incongruence de genre : prise de position d'une association danoise de personnes autistes
- La Petite Sirène
- 5 mai
- 5 min de lecture
Article de Magali Pignard - 4 mai 2025
Prise de position de l’association Autisme- og Aspergerforeningen sur la prise en charge médicale en cas d’incongruence de genre (Danemark, 2025)

Dans le cadre de la consultation publique* lancée par les autorités sanitaires danoises sur leurs nouvelles lignes directrices encadrant les traitements médicaux liés à l’incongruence de genre, l’Autisme- og Aspergerforeningen (Association danoise pour l’autisme et le syndrome d’Asperger) a publié une réponse critique concernant le « Cadre de bonnes pratiques ». L’association exprime ses vives inquiétudes quant à l’usage de traitements hormonaux potentiellement irréversibles chez les mineurs, et souligne la vulnérabilité spécifique des jeunes autistes vis-à-vis de cette problématique.
Ils plaident pour :
une évaluation systématique de l’autisme avant toute prise en charge médicale ;
une approche prudente et thérapeutique non invasive en première intention ;
la reconnaissance du rôle de facteurs comorbides (troubles psychiatriques, traumatismes, développement atypique) dans les parcours de transition.
Ils mettent en garde contre une médicalisation hâtive, la survalorisation des pronoms dans les protocoles de soins, et le risque que des jeunes autistes interprètent à tort leur mal-être comme une dysphorie de genre.
➥ Ci-dessous : plusieurs extraits de leur prise de position concernant les enjeux liés à l’autisme, restructurés par thématiques.
1. Surreprésentation de l’autisme chez les jeunes avec incongruence de genre
« Les recherches montrent que les personnes qui s’identifient comme transgenres sont jusqu’à sept fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic d’autisme que la population générale (Warrier et al. 2021. Plusieurs études soulignent une surreprésentation significative des traits autistiques (...) chez les enfants et les adolescents cherchant un traitement pour incongruence de genre (Glidden et al. 2016).
À l’échelle internationale, nous constatons une tendance selon laquelle les personnes qui regrettent le traitement de modification de genre sont principalement autistes. (...)
Comme l’autisme et l’incongruence de genre sont souvent liés, un dépistage approfondi de l’autisme devrait être obligatoire avant même d’envisager un traitement médical ou chirurgical. »
2. Confusion entre autisme et incongruence de genre
« L’autisme peut influencer la compréhension de l’identité : beaucoup de personnes autistes ont des difficultés d’adaptation sociale, des troubles sensoriels et une compréhension de soi en noir ou blanc, ce qui peut les rendre particulièrement vulnérables à percevoir l’identité de genre comme une vérité figée. (...)
(...)
Les jeunes autistes peuvent mal interpréter leurs propres sentiments et confondre la dysphorie de genre avec d’autres difficultés sensorielles ou reliées au corps. Ils peuvent également être plus réceptifs à l’influence sociale et à des communautés orientées vers la recherche d’identité.
(...)
Comment peut-on garantir que les enfants et adolescents autistes ne soient pas diagnostiqués par erreur comme présentant une incongruence de genre, si leurs besoins et difficultés spécifiques liés à l’autisme ne sont pas évalués de manière approfondie ? Il manque actuellement une approche claire visant à éviter un surdiagnostic de l’incongruence de genre, et à faire en sorte que la psychoéducation et le développement de la compréhension de soi soient prioritaires avant d’envisager des traitements qui peuvent être irréversibles, comme les bloqueurs de puberté ou les hormones croisées.
(...)
Chez les patients autistes, qui ont souvent une compréhension très littérale et concrète du langage et de l’identité, mettre l’accent sur les pronoms peut entraîner de la confusion, et les amener à maintenir une identité qui ne leur correspond pas vraiment, ou qui est influencée par d’autres facteurs. Dans de tels cas, ce type d’approche peut s’avérer plus nuisible qu’utile. »
3. Nécessité d’un accompagnement spécifique pour les enfants autistes
« Dans les autres domaines de la vie des enfants et des adolescents, les parents ont pour rôle de trouver un équilibre entre le soutien et l’encadrement. (...) Si un jeune a une image de soi perturbée, il est habituel que les parents et les professionnels l’aident à comprendre et à gérer ses ressentis, plutôt que de valider sans discernement des comportements ou décisions découlant de ces ressentis. Faire une exception pour l’identité de genre, en accordant un statut particulier à l’expérience subjective de l’enfant, crée un précédent problématique, qui écarte tout processus de clarification.
(...)
Cela est particulièrement pertinent pour les enfants et adolescents autistes, qui rencontrent souvent un mal-être scolaire lié à des difficultés sensorielles, un rejet, ou un environnement éducatif inadapté. De nombreuses études ont montré que ces enfants développent fréquemment de l’anxiété et du stress dans ces contextes, et qu’ils peinent à différencier leurs ressentis des influences extérieures.
(...)
Lorsqu’un enfant autiste éprouve des difficultés à l’école et ressent en même temps une incongruence de genre, il est essentiel de prendre en compte l’ensemble de sa situation, plutôt que de se focaliser uniquement sur l’identité de genre comme seule explication de sa détresse. Il existe un réel risque que des enfants autistes, se sentant différents ou en marge, cherchent à obtenir reconnaissance et appartenance au sein de catégories identitaires qui leur procurent un sentiment de communauté, mais qui ne répondent pas forcément aux causes profondes de leur mal-être.
(...)
Pour un enfant autiste, qui a souvent une pensée concrète et une tendance à maintenir une compréhension rigide de lui-même, il est d’autant plus important que l’accompagnement proposé ne se limite pas à valider ce qu’il exprime, mais qu'on lui offre un cadre lui permettant d’explorer et de comprendre tous les aspects concernant son identité et son bien-être. »
4. Un déséquilibre préoccupant des services de soutien
« Les personnes autistes manquent de lieux, de ressources pour répondre à leurs besoins spécifiques. Beaucoup se tournent vers la communauté LGBT+ au Danemark, où l’identité de genre occupe une place importante. De nombreuses personnes autistes se sont toujours senties en marge et exclues des groupes sociaux ordinaires.
(...)
Dans un contexte où l’identité de genre est valorisée et où les réseaux sociaux exposent à un univers arc-en-ciel très accessible, ces personnes autistes, souvent seules et vulnérables, peuvent être attirées par des communautés qui semblent célébrer la différence. Dans ces environnements, la question du genre devient alors centrale, en partie parce qu’il n’existe pas d’alternatives de soutien adaptées aux personnes autistes.
Quand l’identité de genre prend autant de place, cela peut compliquer l’exploration d’autres aspects de soi ou empêcher de faire marche arrière si la dysphorie de genre s’avère passagère. Les personnes autistes sont souvent très fidèles aux groupes dans lesquels elles se sentent acceptées, et peuvent craindre de perdre ces relations si elles remettent en question leur identité de genre.
Si les services d’accompagnement prenaient davantage en compte les besoins spécifiques des personnes autistes — sans se focaliser uniquement sur l’identité de genre — davantage d’entre elles pourraient explorer leur identité sous un angle plus global, et ainsi travailler aussi sur d’autres aspects de leur bien-être. »
🔍 Cette prise de position invite à s’interroger, en France aussi, sur les critères d’évaluation et d’accompagnement des jeunes autistes confrontés à une incongruence de genre. |
➥ En savoir plus :
Vulnérabilités spécifiques des personnes autistes face aux questions de genre, par Autisme- og Aspergerforeningen (traduit en français)
Page de ce site dédiée aux liens entre autisme et dysphorie de genre.
How Autistic Traits Can Be Mistaken For Gender Dysphoria, Christina Buttons, 24 mars 2023, article traduit en français sur le site de PAARI.
*Le Danemark actualise en 2025 ses lignes directrices de 2018 sur l’incongruence de genre. Deux nouveaux documents sont proposés :
Faglig ramme : un cadre de bonnes pratiques pour l’évaluation, le traitement et le suivi des personnes concernées.
Vejledning : une directive médico-administrative précisant les obligations des soignants (information, consentement, coordination, etc.).
Ces textes ont été soumis à consultation publique du 18 décembre 2024 au 24 février 2025, sur le site officiel des consultations gouvernementales. 🔝
Comentários