Effet des interventions médicales sur la satisfaction corporelle chez des adolescents présentant une dysphorie de genre
- La Petite Sirène
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Camille Ammann¹ · Lukasz Smigielski¹ · Manuela Lutz¹ · Tanja Schenker¹ · Verena Riedo¹ · Nicole Besse-Flütsch¹ · Isabelle Häberling¹ · Susanne Walitza¹ · Dagmar Pauli¹
Reçu : 25 février 2024 / Révisé : 27 septembre 2025 / Accepté : 29 septembre 2025
© Les auteurs 2025
Trad. Fr.
Résumé
L’insatisfaction corporelle contribue à la détresse dans la dysphorie de genre, mais les preuves longitudinales concernant les facteurs qui atténuent cet inconfort sont limitées. Cette étude naturaliste a examiné l’effet de l’hormonothérapie d’affirmation de genre (GAHT) seule et en combinaison avec la chirurgie d’affirmation de genre (GAHT+GAS) sur la satisfaction corporelle.
Quatre-vingt-deux adolescents (âge moyen 15,77 ± 1,37) orientés vers une clinique spécialisée ont été examinés à deux moments et classés en trois groupes lors du suivi (intervalle moyen 1,93 ± 0,72 ans) :
(1) aucune intervention médicale ou blocage pubertaire (n = 15 ; personnes assignées filles et garçons à la naissance : 11F/4M) ;
(2) GAHT (n = 40 ; 28F/12M) ;
(3) GAHT + GAS (n = 27 ; 26F/1M).
Les changements au niveau du Body Image Scale (échelle de l’image corporelle) au fil du temps, les prédicteurs non médicaux, et les associations entre différents aspects de l’insatisfaction corporelle et la satisfaction de vie ont été examinés.
Comparés au groupe sans intervention/blocage pubertaire, les adolescents ont montré une réduction significative de l’insatisfaction corporelle après les interventions d’affirmation de genre, sans différence statistiquement significative entre les groupes GAHT et GAHT+GAS.
Bien qu’aucun prédicteur de changement dans l’insatisfaction corporelle n’ait été identifié, la transition sociale et un bon fonctionnement familial au départ étaient associés à une moindre insatisfaction corporelle au suivi. L’insatisfaction corporelle et la satisfaction de vie étaient négativement corrélées.
Ces résultats suggèrent que les interventions d’affirmation de genre peuvent atténuer l’insatisfaction corporelle, du moins à court terme. De plus, la transition sociale et le soutien familial étaient des facteurs liés à la satisfaction corporelle. Les recherches futures devraient examiner davantage le profil bénéfice-risque des interventions d’affirmation de genre dans les domaines psycho-fonctionnels et somatiques, en appliquant des plans d’étude plus robustes minimisant les biais de sélection et de réponse, avec des périodes d’observation plus longues et des tailles d’échantillon plus grandes.
Mots-clés : image corporelle · satisfaction corporelle · dysphorie de genre · adolescents · hormones d’affirmation de genre · chirurgie d’affirmation de genre
Introduction
L’image corporelle est définie comme la manière dont une personne évalue, ressent, et intervient dans sa propre incarnation, ce qui s’étend à l’apparence purement physique (Cash, 1994). Un rôle bénéfique des attitudes positives envers son propre corps a été largement souligné par une méta-analyse récente portant sur 240 études publiées, qui a relié le concept d’appréciation corporelle avec des indices de bien-être (positivement) et de psychopathologie (inversement) (Linardon et al., 2022).
Il a également été montré que la satisfaction corporelle est associée à la satisfaction de vie chez les hommes et les femmes (Davis et al., 2020).
Chez les personnes présentant une dysphorie de genre (DG), définie dans la 5e édition du DSM comme « la détresse pouvant accompagner l’incongruence entre le genre vécu ou exprimé et le genre assigné à la naissance » (American Psychiatric Association, 2013), l’insatisfaction corporelle et le malaise vis-à-vis des caractéristiques physiques sont significativement plus fréquents que chez les personnes ne présentant pas de dysphorie de genre (Algars et al., 2012 ; Bandini et al., 2013 ; van de Grift, 2016b ; Witcomb et al., 2015).
Cela s’applique également aux enfants et adolescents (Becker et al., 2018 ; Fisher et al., 2017), bien que les critères diagnostiques DSM-5 de la DG chez l’enfant contiennent davantage d’aspects comportementaux que d’aspects liés au corps par rapport à ceux définis pour les adolescents et adultes. Steensma et al. (2013) ont trouvé que l’insatisfaction corporelle était significativement plus élevée chez les « persistants » (ceux qui continuent sur la voie de la transition de genre) que chez les « désistants » (ceux qui reviennent au genre assigné à la naissance en entrant en puberté), soulignant le rôle important de la satisfaction corporelle dans l’évolution de la DG.
Les personnes présentant une DG tendent également à éprouver des niveaux élevés de psychopathologie (Dhejne et al., 2016), d’automutilation (Davey et al., 2016 ; Marshall et al., 2016), et de suicidalité/idées suicidaires (Aitken et al., 2016 ; Bauer et al., 2015 ; de Graaf et al., 2022 ; Marshall et al., 2016 ; Ruuska et al., 2024 ; Wiepjes et al., 2020).
La thématique de la satisfaction ou de l’insatisfaction envers son propre corps est présente à la fois chez les individus en bonne santé et chez ceux rencontrant des difficultés de santé mentale. Une condition clinique disposant d’une littérature substantielle portant fortement sur la satisfaction corporelle est celle des troubles alimentaires. L’insatisfaction corporelle a été trouvée comme étant significativement associée à la suicidalité dans l’anorexie mentale et la boulimie (Perkins & Brausch, 2019 ; Rufino et al., 2018).
Plusieurs études ont cherché à comparer les paramètres d’insatisfaction corporelle dans les troubles alimentaires avec ceux des individus présentant une DG (Jones et al., 2016 ; Vocks et al., 2009). Dans les deux études mentionnées ci-dessus, les personnes présentant une DG montraient une insatisfaction corporelle moins sévère que celles souffrant de troubles alimentaires. Cependant, dans une autre étude, des hommes trans* dysphoriques exprimaient des niveaux d’insatisfaction corporelle similaires à ceux de mâles cisgenres non dysphoriques souffrant de troubles alimentaires, pouvant potentiellement les exposer à un risque accru de développer des symptomatologies liées à l’alimentation (Witcomb et al., 2015).
Une étude récente a montré que l’insatisfaction corporelle était un prédicteur significatif du fonctionnement psychologique chez des adolescents présentant une DG, à la fois pour les problèmes internalisés et externalisés (Verveen et al., 2023). Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que l’insatisfaction corporelle peut influencer le fonctionnement psychosocial chez les personnes présentant une dysphorie de genre, mais aussi chez celles ayant des troubles alimentaires, soulignant sa pertinence potentielle comme sujet d’intérêt clinique.
Alors que la plupart des traitements des troubles alimentaires se concentrent initialement sur la normalisation des habitudes alimentaires, l’insatisfaction corporelle peut être abordée en promouvant une régulation émotionnelle positive, des croyances saines concernant le contrôle du poids, et de la psychoéducation (Laporta-Herrero et al., 2018).
Diverses interventions médicales ont été proposées pour minimiser le sentiment d’incongruence entre le genre vécu ou exprimé et le genre assigné à la naissance dans la DG. Plusieurs études indiquent que l’insatisfaction corporelle diminue dans la DG après une hormonothérapie d’affirmation de genre (Becker et al., 2018 ; Kuper et al., 2020 ; van de Grift et al., 2017) et après une chirurgie d’affirmation de genre (Kraemer et al., 2008 ; Robinson et al., 2021 ; Smith et al., 2005).
Dans une étude de de Vries et al. (2014), la suppression pubertaire seule n’avait aucun impact sur l’ampleur de l’insatisfaction corporelle chez les enfants et adolescents. En revanche, l’hormonothérapie d’affirmation de genre et la chirurgie réduisaient significativement l’étendue de la DG et de l’insatisfaction corporelle. Cependant, cette étude n’examinait pas laquelle des interventions — ou si la combinaison de traitements — atténuait l’insatisfaction corporelle (de Vries et al., 2014).
Les changements corporels causés par l’hormonothérapie ont été abordés dans une étude de Klaver et al. (2018), qui a trouvé des modifications significatives du ratio taille-hanches, de la masse grasse totale et de la masse maigre totale chez les hommes trans* et les femmes trans*, conduisant à une composition corporelle plus similaire à leur genre affirmé (Klaver et al., 2018).
Dans une autre étude, van de Grift et al. (2017) ont montré que l’hormonothérapie d’affirmation de genre affecte non seulement l’insatisfaction envers les régions corporelles influencées par les hormones, mais aussi envers les régions non sensibles aux hormones telles que la main, le mollet ou le nez. Cela implique que l’amélioration de la satisfaction corporelle grâce aux interventions médicales peut ne pas être limitée aux effets corporels directs des hormones ou de la chirurgie, mais semble aussi produire une évaluation globalement plus positive de soi et de son corps.
En résumé, la littérature publiée a montré une association constante entre la DG et l’insatisfaction corporelle, certaines études se concentrant sur l’amélioration de la satisfaction corporelle au cours des interventions médicales. Cependant, peu de recherches examinent l’effet isolé de différentes interventions médicales. En outre, les populations étudiées étaient de petite taille dans les investigations précédentes, limitant leurs conclusions.
En plus des interventions médicales, des facteurs sociaux ont également été proposés comme facteurs pouvant atténuer la détresse psychologique dans la DG. Par exemple, Durwood et al. (2017) ont constaté que des jeunes ayant une transition sociale et présentant une DG rapportaient des niveaux similaires de dépression et d’anxiété à des témoins ne présentant pas de DG. Cela pourrait indiquer un effet positif du fait d’avoir effectué une transition sociale (c’est-à-dire se présenter et interagir avec la société en accord avec son identité de genre ressentie) sur la psychopathologie.
Cependant, une causalité opposée est également concevable : des individus exempts de dépression et d’anxiété peuvent s’exprimer comme ils le souhaitent, contrairement à ceux dont l’expression est limitée par leur psychopathologie (Durwood et al., 2017).
Dans d’autres études, la transition sociale ne prédisait pas une amélioration du fonctionnement psychologique, tandis qu’un bon fonctionnement familial et de bonnes relations avec les pairs étaient de forts prédicteurs de bien-être psychologique (Sievert et al., 2021 ; Wong et al., 2019). Ces conclusions avaient été formulées auparavant par Bauer et al. (2015), qui ont trouvé que le soutien social, de faibles niveaux de transphobie sociétale, et le soutien parental à l’identité de genre réduisaient le risque suicidaire chez les personnes trans*.
L’importance du soutien des pairs dans le contexte de la satisfaction corporelle a également été démontrée dans la recherche sur les troubles alimentaires, indiquant que l’aliénation des pairs était associée à l’insatisfaction corporelle (Laporta-Herrero et al., 2021).
Bien que diverses études antérieures aient examiné l’association entre les interventions médicales d’affirmation de genre et la satisfaction corporelle, peu ont utilisé un plan longitudinal, et encore moins se sont concentrées sur la comparaison des résultats chez des individus présentant une DG ayant reçu uniquement des interventions hormonales ou ayant reçu à la fois des interventions hormonales et chirurgicales.
L’objectif principal de la présente étude était d’examiner les effets des interventions médicales sur le développement de la satisfaction corporelle chez des adolescents présentant une dysphorie de genre au fil du temps dans un cadre naturaliste. De plus, nous avons visé à identifier des prédicteurs non médicaux de l’insatisfaction corporelle au suivi et de son évolution. Sur la base de la littérature existante et de notre propre expérience clinique, notre ensemble de prédicteurs non médicaux incluait le soutien des pairs, le fonctionnement familial, la transition sociale, le genre assigné à la naissance, l’âge, ainsi que l’indice de masse corporelle (IMC). L’inclusion de l’IMC était motivée par son association supposée avec la satisfaction corporelle chez les adolescents (Loth et al., 2015).
En outre, nous avons examiné les associations entre des aspects plus spécifiques de l’insatisfaction corporelle (c’est-à-dire caractéristiques sexuelles primaires, secondaires et neutres) et la satisfaction de vie.
Nous avons émis l’hypothèse que les participant·e·s ayant reçu une hormonothérapie d’affirmation de genre ou une chirurgie montreraient une amélioration significative de la satisfaction corporelle au fil du temps, comparé·e·s aux personnes n’ayant reçu aucune intervention médicale ou seulement un bloqueur pubertaire. De plus, nous nous attendions à ce qu’une chirurgie supplémentaire entraîne une réduction significativement plus importante de l’insatisfaction corporelle que l’hormonothérapie seule.
En outre, nous anticipions que des facteurs psychosociaux non médicaux, tels que le fonctionnement familial, les relations avec les pairs et le statut de transition sociale, seraient des prédicteurs significatifs d’un changement de satisfaction corporelle au fil du temps.
Dans notre analyse de corrélation, nous nous attendions à observer une corrélation positive entre l’insatisfaction corporelle et l’ampleur de la dysphorie de genre, et nous avons émis l’hypothèse que l’insatisfaction concernant les caractéristiques sexuelles primaires, telles que les organes génitaux, montrerait les corrélations les plus fortes avec l’insatisfaction corporelle globale.
Étant donné l’association précédemment identifiée entre des constructions psychologiques positives, telles que le bien-être et la satisfaction de vie, nous avons supposé que la satisfaction de vie serait négativement corrélée avec l’insatisfaction corporelle.
Alors que le nombre de personnes orientées vers des cliniques spécialisées en dysphorie de genre augmente dans le monde entier (Handler et al., 2019), il est d’une grande importance pour les jeunes transgenres, leurs parents et les cliniciens d’élucider ces questions.
Méthode
Participants
Cette étude faisait partie du projet de recherche longitudinal naturaliste « Variations dans le développement de l’identité de genre chez les enfants et les adolescents », lancé par la clinique du genre du Département de psychiatrie et psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent de l’Hôpital universitaire psychiatrique de Zurich. Ce service spécialisé a été créé en 2009 et la collecte des données a débuté en 2015.
La Figure 1 présente le diagramme de flux des participant·e·s avec les raisons des exclusions.
Sur 175 entrées cliniques, 28 adolescents·es ne répondaient pas aux critères d’inclusion en raison de l’âge (<12 ans) ou d’une date de suivi en dehors de la période fixée de 1–4 ans. Bien que l’incapacité cognitive à compléter les questionnaires constituait un critère d’exclusion, aucune personne n’a été exclue pour cette raison.
Sur les 147 adolescents répondant aux critères de l’étude, 109 ont rempli le questionnaire de départ (taux de participation 74,2 %). Cependant, six adolescent·e·s ont dû être exclu·e·s en raison d’un traitement hormonal d’affirmation de genre déjà initié ou d’une désistance (c’est-à-dire un retour à l’identification au genre assigné à la naissance).
Sur les 103 adolescent·e·s restant, 21 n’ont pas complété les questionnaires de suivi, menant à un taux de participation de 79,6 % au suivi et à un nombre final de jeux de données complets de 82 (taux de participation total : 58,2 %).

Procédure
Dans nos analyses de ces données recueillies de manière naturaliste, nous avons inclus deux points temporels pour chaque participant·e, le point temporel de suivi (T1) se situant dans l’intervalle de 1 à 4 ans, indépendamment des interventions médicales éventuellement initiées. Cela a conduit à des intervalles temporels significativement différents entre le moment de base (T0), le début des interventions médicales possibles, et le suivi (T1). C’est pourquoi le temps a été modélisé dans l’analyse longitudinale.
Les participant·e·s devaient être naïfs de traitement (c’est-à-dire ne recevant aucun soin médical d’affirmation de genre) au moment T0. À T1, les participant·e·s ont été classé·e·s en l’un des trois groupes, selon les traitements médicaux reçus entre T0 et T1. Cela a donné trois groupes d’étude :
(1) aucune intervention médicale ou blocage pubertaire ;
(2) traitement hormonal d’affirmation de genre (GAHT) ;
(3) hormones d’affirmation de genre et chirurgie (GAHT + GAS).
En moyenne, les données T1 ont été recueillies 14,30 mois (± 8,62) après le début de l’hormonothérapie d’affirmation de genre et 11,89 mois (± 8,37) après la chirurgie d’affirmation de genre. (Ces données étaient disponibles pour 90,04 % et 70,37 % des participant·e·s, respectivement.) Les instruments mesurant les constructions d’intérêt ont été administrés à un ou deux points temporels, comme spécifié ci-dessous.
La décision concernant les interventions médicales — et lesquelles — était déterminée par un processus de décision partagée individuelle. Ce processus impliquait les adolescent·e·s, leurs parents, et des thérapeutes spécialisés, qui évaluaient les avantages et désavantages de chaque intervention potentielle pour le/la patient·e.
Les interventions médicales ou chirurgicales étaient indiquées pour des personnes présentant une DG persistante et stable sur plusieurs années, un niveau substantiel de souffrance, et sur la base d’un consentement éclairé de l’adolescent·e et du·de la tuteur·trice légal·e.
Au moment de l’inclusion, 78 participant·e·s répondaient aux critères diagnostiques DSM-5 de la DG, tels qu’évalués par des cliniciens formés. Chez quatre adolescent·e·s, les critères diagnostiques n’étaient pas entièrement remplis au moment de l’inclusion mais l’ont été peu après, bien avant le début des hormones d’affirmation de genre ou de la chirurgie. (Trois de ces participant·e·s n’ont pas reçu d’intervention médicale, tandis qu’un·e a reçu des hormones et une chirurgie.)
Tous les participant·e·s ont été évalué·e·s de manière approfondie durant plusieurs mois dans des séances psychologiques de soutien et de diagnostic. Pendant l’étude, 68,3 % (n = 56) des participant·e·s ont continué une psychothérapie de soutien régulière :
– 12,2 % (n = 10) y assistaient une fois par semaine,
– 32,9 % (n = 27) une fois toutes les 2 à 4 semaines,
– 23,2 % (n = 19) moins d’une fois toutes les 4 semaines.
De plus, les participant·e·s pouvaient accéder à une thérapie laser pour l’épilation du visage ou du corps, ainsi qu’à une orthophonie si souhaitée.
Mesures
Body Image Scale
L’insatisfaction (ou satisfaction) corporelle a été mesurée au moyen du Body Image Scale (BIS), créé spécifiquement pour les personnes transgenres (Lindgren & Pauly, 1975) et largement utilisé dans des études antérieures sur la DG (Gümüşsoy et al., 2022 ; Huisman et al., 2022 ; Verveen et al., 2023).
Ses deux versions (une pour les hommes transgenres, une pour les femmes transgenres) listent 30 aspects corporels à évaluer par les participant·e·s sur une échelle de réponse de 1 à 5, où 1 indique « très satisfait·e » et 5 indique « très insatisfait·e ».
Selon les auteur·e·s originaux Lindgren & Pauli, tous les items du BIS sont subdivisés en trois sous-échelles :
caractéristiques sexuelles primaires (organes génitaux, poitrine, pilosité faciale ; voix et torse chez les hommes trans* ; pilosité corporelle chez les femmes trans*),
caractéristiques sexuelles secondaires (par ex. hanches, cuisses, bras, taille, muscles, fesses, etc.),
caractéristiques sexuelles neutres (par ex. nez, sourcils, menton, mollets, mains, etc.).
Le score était calculé en faisant la moyenne de tous les items pour le score total et de ceux des sous-échelles. Un score plus élevé représente une insatisfaction corporelle plus importante. Cette mesure a été administrée à T0 et T1.
Utrecht Gender Dysphoria Scale
L’UGDS est un instrument validé utilisé pour mesurer l’étendue de la dysphorie de genre (Cohen-Kettenis & van Goozen, 1997). Les deux versions du questionnaire — pour les personnes transgenres de mâle à femelle et de femelle à mâle — contiennent chacune 12 items, notés sur une échelle Likert en 5 points, où 1 indique « désaccord complet » et 5 indique « accord complet ».
Le score total est calculé en additionnant tous les items, pour un minimum de 12 et un maximum de 60 points, des scores plus élevés indiquant une dysphorie de genre plus forte. Un seuil de 40 est recommandé comme limite diagnostique pour la DG (Steensma, 2013). Cette mesure a été administrée à T0.
Autres instruments
Le fonctionnement familial a été évalué avec l’échelle de fonctionnement général à 12 items du McMaster Family Assessment Device (FAD) (Epstein et al., 1983). Les items sont cotés sur une échelle Likert en 4 points (où 1 indique « meilleur fonctionnement » et 4 indique « pire fonctionnement »), à partir de laquelle un score moyen est calculé (Boterhoven de Haan et al., 2015).
De plus, la version allemande du Youth Self-Report (YSR) (Achenbach, 1991 ; Döpfner et al., 1994) a été utilisée pour dériver l’indice Poor Peer Relations (PPR). Cet indice est obtenu en additionnant les réponses à trois items du YSR :
item 25 : « Ne s’entend pas avec les autres enfants »
item 38 : « Est souvent taquiné·e »
item 48 : « N’est pas aimé·e par les autres enfants »
comme suggéré précédemment (Zucker et al., 1997) et utilisé dans d’autres recherches du domaine (de Graaf et al., 2018). Le score PPR varie de 0 à 6, des scores plus élevés indiquant de moins bonnes relations avec les pairs.
Le statut de transition sociale a été évalué avec la question :
« Vivez-vous comme votre genre affirmé dans toutes les parties de votre vie ? »,
avec « oui » ou « non » comme réponses dichotomiques.
La satisfaction de vie a été mesurée avec l’échelle en 5 items Satisfaction With Life Scale (SWLS) (Diener et al., 1985), où chaque item est coté de 1 à 7 selon le degré d’accord avec l’énoncé. Le score total SWLS varie de 5 à 35 et est calculé en additionnant tous les items, des valeurs plus élevées indiquant une satisfaction de vie plus grande.
Le score PPR était utilisé à T0 et T1, le FAD seulement à T0, et le SWLS seulement à T1. L’IMC des participant·e·s a été calculé avec la formule : poids (kg) divisé par taille (m²). Le poids des participant·e·s a été mesuré avec une balance calibrée, et la taille avec un stadiomètre.
Analyse statistique
Toutes les analyses statistiques ont été réalisées avec R version 4.1.1 (R Core Team, 2021). Pour évaluer les associations entre les groupes, le test du chi-carré de Pearson / test exact de Fisher a été utilisé pour les données catégorielles, et les tests ANOVA / Kruskal–Wallis ont été appliqués aux données continues, selon les hypothèses statistiques conventionnelles.
Les questions de recherche ont été examinées à l’aide de trois analyses statistiques principales.
Premièrement, pour tester d’éventuelles différences inter-groupes dans les variables d’issue BIS entre deux évaluations, un modèle linéaire à effets mixtes avec un intercept aléatoire a été appliqué. Nous avons considéré cette approche supérieure à l’ANOVA standard à mesures répétées, en particulier en raison de la variabilité des intervalles temporels individuels entre les mesures.
Les modèles à effets mixtes tiennent également compte de la variabilité inter-individuelle et des corrélations dans les données, tout en gérant adéquatement les données non équilibrées et manquantes (Baayen et al., 2008). Nous avons ajusté un modèle linéaire robuste à effets mixtes (RLMM) grâce au package robustlmm (Koller, 2016).
Le groupe (aucune intervention / blocage pubertaire, GAHT, GAHT+GAS), le temps (en années), le genre assigné à la naissance, l’âge, et l’interaction groupe × temps ont été modélisés comme effets fixes, et l’intercept des participant·e·s comme effet aléatoire.
Plus précisément, nous avons testé l’hypothèse selon laquelle les participant·e·s des groupes GAHT et GAHT+GAS montreraient des diminutions de l’insatisfaction corporelle comparé·e·s au groupe sans intervention / blocage pubertaire, du pré-test au post-test. Les degrés de liberté approximés de Satterthwaite ont été utilisés pour générer les p-values. Aucune imputation des données manquantes n’a été appliquée.
Deuxièmement, notre objectif était de tester si les mesures non médicales (notamment les mesures déterminées socialement) collectées au moment initial prédisaient significativement le score BIS au suivi ainsi que son changement (T0–T1). Les prédicteurs suivants ont été inclus dans le modèle : genre assigné à la naissance, âge, IMC, FAD, PPR et transition sociale.
Ces analyses ont été effectuées en utilisant la fonction de régression linéaire robuste intégrée dans le package MASS de R. Les fonctions des packages repmod et sfsmisc ont été utilisées pour obtenir les valeurs p et les statistiques robustes de test F, respectivement. Les tableaux de résultats pour les analyses ci-dessus ont été générés avec le package sjPlot (Lüdecke, 2021).
Troisièmement, des analyses corrélationnelles ont été conduites pour examiner les associations entre les variables clés de l’étude, y compris les scores des sous-échelles. Plus précisément, des corrélations de Spearman ont été calculées séparément pour les données T0 et T1 entre le score moyen BIS, les sous-échelles BIS des caractéristiques sexuelles primaires, secondaires et neutres, l’UGDS (T0), et la SWLS (T1), avec une correction de Bonferroni appliquée pour tenir compte des tests multiples (20 tests réalisés, seuil correspondant : p = 0,0025).
Résultats
Caractéristiques de l’échantillon
Aucune différence statistiquement significative n’a été observée dans les données démographiques de base entre les non-participant·e·s et les participant·e·s, incluant l’âge (moyenne 15,83 ± 1,53 pour les non-participants ; moyenne 15,71 ± 1,40 pour les participants ; t(156)=0,53, p=0,600), le sexe assigné à la naissance (χ²=1,03, p=0,311) et la présence de comorbidités (χ²=3,48, p=0,062). Les données complètes pour ces variables étaient disponibles pour 76 non-participant·e·s.
Le Tableau 1 résume les caractéristiques des participant·e·s. L’âge moyen de l’échantillon total (n = 82) au début était de 15,77 ans (± 1,37 ; intervalle 12–18 ans). L’intervalle temporel entre les évaluations T0 et T1 variait de 0,93 à 3,71 ans avec une moyenne de 1,93 ans (± 0,72), et différait significativement entre les trois groupes analysés ; cela était dû à un intervalle de temps plus long entre T0 et T1 chez les participant·e·s du groupe chirurgie.
Près de 80 % des participant·e·s étaient assigné·e·s femmes à la naissance. Au moment T0, aucun·e participant·e n’avait reçu un traitement hormonal d’affirmation de genre ou une chirurgie. Huit adolescent·e·s avaient reçu des hormones de suppression pubertaire (analogues de la GnRH) au moment T0.
Le groupe chirurgie contenait significativement plus de personnes assignées filles à la naissance que les deux autres groupes (26 des 27 chirurgies d’affirmation de genre étaient des mastectomies ; la dernière était une chirurgie de réassignation génitale chez une personne assignée garçon).
Tous les participant·e·s sauf deux avaient des scores UGDS au-dessus du seuil diagnostique recommandé de 40 points à T0. Ces deux participant·e·s avaient des scores de 35 et 38 points respectivement, mais remplissaient tout de même les critères DSM-5 de la dysphorie de genre.
Bien qu’aucune différence statistiquement significative n’ait été trouvée concernant la présence ou l’absence de comorbidités psychiatriques entre les groupes, le score BIS au début était significativement plus élevé chez les participant·e·s avec comorbidités (n = 30 ; moyenne 3,60 ± 0,40) que chez ceux·celles sans comorbidités (n = 52 ; moyenne 3,36 ± 0,50 ; t(80)=2,19, p=0,032).
Analyse longitudinale au niveau des groupes
Nous avions émis l’hypothèse d’une réduction significative des scores BIS au fil du temps chez les participant·e·s recevant des soins d’affirmation de genre, avec une amélioration supplémentaire attendue après la chirurgie.
Parmi les résultats clés de cette analyse (Fig. 2, Tableau 2), il y avait des interactions significatives groupe × temps pour le groupe GAHT (β = −0,33, p < 0,001) et pour le groupe GAHT + GAS (β = −0,35, p < 0,001). Comparés au groupe sans intervention / blocage pubertaire, les groupes GAHT et GAHT + GAS présentaient une diminution annuelle respective de 0,33 et 0,35 unités dans le score BIS (en contrôlant pour le sexe et l’âge).
En d’autres termes, il y avait une amélioration significativement plus importante de la satisfaction corporelle dans les groupes GAHT et GAHT + GAS.
Pour tester les différences possibles entre les groupes GAHT et GAHT + GAS, nous avons répété ces analyses en utilisant le groupe GAHT comme référence et n’avons trouvé aucun effet statistiquement significatif entre les deux groupes.
En outre, nous avons testé séparément les effets des sous-échelles du BIS (caractéristiques sexuelles primaires, secondaires et neutres) et avons à nouveau trouvé des interactions significatives lorsque le groupe sans intervention / blocage pubertaire était utilisé comme référence, ainsi qu’aucune différence significative entre le groupe GAHT et le groupe GAHT + GAS dans les trois sous-échelles du BIS.
Étant donné que 96,3 % des participant·e·s du groupe GAHT + GAS étaient des personnes assignées filles à la naissance recevant une mastectomie, nous avons conduit les mêmes analyses uniquement pour cette population. Aucune différence statistiquement significative entre les groupes GAHT et GAHT + GAS n’a été trouvée.
Le modèle avait un coefficient de détermination marginal (R²) de 0,230 et un R² conditionnel de 0,484, ce qui signifie que les effets fixes expliquaient 23 % de la variance, tandis que la combinaison des effets fixes et aléatoires (le modèle complet) expliquait 48,4 % de la variance.
La taille de l’échantillon dans cette étude était déterminée par les données disponibles et aucun calcul de puissance a priori n’a été effectué. Cependant, nous avons réalisé un calcul de puissance post hoc pour le résultat principal dans l’analyse pré–post sur les groupes. En utilisant le package simr pour R (Green & MacLeod, 2016) et 1000 itérations, nous avons démontré une puissance statistique simulée de 71,3 % [IC 95 % : 68,4–74,1 %] pour le terme d’interaction.
Analyse des prédicteurs
Nous avions émis l’hypothèse que le fonctionnement familial, le soutien des pairs et le statut de transition sociale seraient des prédicteurs significatifs du BIS et de son changement au fil du temps dans l’ensemble de l’échantillon.
Le facteur d’inflation de variance (VIF) dans les analyses de prédiction était compris entre 1,03 et 1,19, indiquant l’absence de problèmes de multicolinéarité entre les prédicteurs.
Le modèle de régression global impliquant le BIS (T1) comme variable dépendante était statistiquement significatif (robust F = 3,609, p = 0,004).
Les deux prédicteurs significatifs dans ce modèle étaient :
le statut de transition sociale (β = −0,57, p < 0,001)
le fonctionnement familial (FAD) (β = −0,21, p = 0,044)
Les participant·e·s ayant effectué une transition sociale et ayant un meilleur fonctionnement familial à T0 tendaient à être moins insatisfait·e·s de leur corps à T1.
Aucun prédicteur statistiquement significatif n’a été identifié pour les scores de changement du BIS ; toutefois, une tendance vers la signification était observée pour la transition sociale parmi les prédicteurs (Tableau 3).
Analyse de corrélation
La matrice de corrélation de Spearman corrigée de Bonferroni (Fig. 3A–B) a révélé :
des associations positives entre le score moyen BIS et les scores des sous-échelles pour les deux moments temporels,
sauf pour le couple « BIS primaires ↔ BIS neutres » à T0.
la corrélation la plus forte était entre :
BIS score moyen et caractéristiques sexuelles secondaires (ρ = 0,92, p < 0,001).
des corrélations significatives entre le BIS et l’UGDS à T0,
sauf pour les caractéristiques sexuelles neutres du BIS.
De manière importante, nous avons également trouvé :
des associations négatives significatives entre la satisfaction de vie (SWLS) et les scores BIS moyens (Fig. 3B, ρ = −0,56, p < 0,001).
Notamment :
la satisfaction de vie était négativement corrélée avec l’insatisfaction concernant les caractéristiques secondaires (ρ = −0,54, p < 0,001)
et les caractéristiques neutres (ρ = −0,56, p < 0,001),
mais pas avec les caractéristiques sexuelles primaires (ρ = −0,21, p non corrigé = 0,06).

Discussion
Comme résultat principal, la présente étude a trouvé que, chez des adolescents présentant une dysphorie de genre, l’hormonothérapie d’affirmation de genre et l’hormonothérapie combinée à une chirurgie étaient liées à une réduction statistiquement significative de l’insatisfaction corporelle au fil du temps, comparativement à l’absence d’intervention médicale. Globalement, cet effet est en accord avec les observations issues des recherches précédentes sur les effets des interventions d’affirmation de genre chez les adolescents présentant une DG (de Vries et al., 2014 ; Kuper et al., 2020).
Les effets des hormones d’affirmation de genre consistent en des changements biologiques de la morphologie corporelle, de la pilosité et de la voix. La chirurgie modifie les parties du corps typiques du genre assigné à la naissance et peut construire des parties corporelles typiques du genre affirmé.
De manière inattendue, aucune différence significative dans la réduction de l’insatisfaction corporelle n’a été trouvée entre le groupe hormones seules et le groupe hormones + chirurgie dans notre étude. Cela était vrai pour les trois sous-échelles du BIS et cohérent avec l’analyse du sous-groupe composé uniquement de personnes assignées filles à la naissance, comme observé dans nos analyses supplémentaires.
Peu d’études ont examiné l’effet additionnel d’une chirurgie d’affirmation de genre sur la réduction de l’insatisfaction corporelle dans la DG, comparé à l’effet de l’hormonothérapie seule. Par exemple, une étude portant sur 201 participant·e·s (van de Grift et al., 2017) n’a trouvé aucune différence significative dans l’étendue de l’insatisfaction corporelle globale à l’évaluation de suivi entre le groupe hormones seules et le groupe hormones + chirurgie. Seule l’analyse du sous-groupe portant sur la satisfaction génitale — évaluée dans l’une des six nouvelles sous-échelles BIS créées — était plus élevée dans le groupe hormones + chirurgie. Cependant, les tailles des groupes étaient très différentes : 136 participant·e·s dans le groupe hormones + chirurgie contre seulement 36 dans le groupe hormones seules (van de Grift et al., 2017).
À l’inverse, une étude récente portant sur 70 individus a montré que la mastectomie chez des hommes trans* ou des personnes non binaires ayant déjà reçu une hormonothérapie d’affirmation de genre conduisait à une réduction de la dysphorie thoracique et de l’insatisfaction corporelle globale (Ascha et al., 2022).
Une explication possible de l’absence de différence entre ces deux groupes dans notre étude pourrait être que les participant·e·s se trouvaient encore en phase de récupération après les chirurgies et que l’évaluation de suivi avait lieu trop tôt après la chirurgie d’affirmation de genre (intervalle moyen : 11,89 mois ± 8,37). Des éventuelles plaies chirurgicales ou douleurs pourraient avoir affecté négativement la satisfaction corporelle.
Il convient également de noter que les raisons pour lesquelles les participant·e·s du groupe non traité n’ont pas reçu d’intervention médicale sont diverses : certain·e·s ne l’avaient pas demandée par incertitude ; dans certains cas, les parents n’avaient pas donné leur consentement ; pour d’autres, les thérapeutes n’avaient pas établi d’indication pour un traitement, par exemple en raison d’un manque de stabilité de la DG.

Dans l’analyse des prédicteurs, aucun effet statistiquement significatif n’a été trouvé pour le score de changement du BIS. Il existait une tendance vers la signification pour la transition sociale (p = 0,054). Cependant, le statut de transition sociale et le niveau de fonctionnement familial au moment initial étaient des prédicteurs significatifs de la satisfaction corporelle lors de l’évaluation de suivi.
Cela concorde avec l’idée que l’affirmation du genre et de bonnes relations avec les proches peuvent soutenir une image corporelle positive et rendre les interventions d’affirmation de genre plus accessibles au départ. La transition sociale a été décrite comme un facteur positif pour le bien-être psychologique dans la DG dans des recherches antérieures (Durwood et al., 2017). Toutefois, il est important de noter que la transition sociale a été évaluée dans notre étude avec une simple question oui/non, qui constitue une mesure subjective du fait de vivre dans le rôle désiré et peut varier selon l’humeur du/de la participant·e ou sa situation de vie.
Le fonctionnement familial a été enregistré au moyen du FAD, qui mesure des aspects tels que le soutien dans les situations difficiles, l’acceptation mutuelle et la confiance. Généralement, un bon fonctionnement familial est associé à une meilleure santé mentale, se manifestant par des niveaux réduits de stress, de dépression ou d’anxiété chez les adolescents sans DG (Lema-Gómez et al., 2021). Un mauvais fonctionnement familial a également été montré comme prédicteur de difficultés comportementales et émotionnelles chez des adolescents présentant une DG (Levitan et al., 2019).
Bien que nos résultats indiquent des prédicteurs de la satisfaction corporelle lors du suivi plutôt que du changement, ils demeurent d’intérêt pour les cliniciens au moment de l’admission et s’harmonisent globalement avec la littérature existante dans les populations DG et adolescentaires mixtes.
Concernant l’analyse de corrélation, quelques remarques peuvent être formulées. Au moment initial, l’étendue de la DG mesurée par l’UGDS était corrélée avec les facettes du BIS, sauf pour la sous-échelle des caractéristiques neutres du BIS, ce qui suggère que le BIS peut capturer un certain niveau de DG.
Le score moyen du BIS, la mesure principale évaluée dans nos analyses, était fortement corrélé aux caractéristiques sexuelles secondaires et neutres, et moins aux caractéristiques sexuelles primaires au moment initial et au suivi. Cela suggère une association plus forte avec des aspects corporels plus visibles et généraux — tels que la stature ou la musculature — comparé aux caractéristiques sexuelles primaires, lesquelles sont modifiées par la chirurgie d’affirmation de genre.
Un constat similaire a été fait chez des adultes présentant une dysphorie de genre par van de Grift et al. (2016), selon lequel des caractéristiques corporelles influentes socialement, telles que la voix, la musculature et la posture, avaient plus d’impact sur la satisfaction corporelle globale que les organes génitaux (van de Grift, 2016a).
Notamment, notre étude a également trouvé une association entre la satisfaction corporelle et la satisfaction de vie. Une telle relation a été décrite dans des études antérieures dans la population générale (Swami & Todd, 2022). Là encore, un schéma spécifique aux facettes était apparent : la satisfaction de vie était négativement corrélée à l’insatisfaction concernant les caractéristiques secondaires et neutres (à des degrés similaires), mais pas aux caractéristiques sexuelles primaires évaluées par le BIS.
Cela souligne la pertinence des parties du corps moins — ou non — sensibles aux hormones comme facteurs influençant la satisfaction de vie chez les adolescents présentant une DG.
Il convient de noter que la corrélation ne prouve pas la causalité ; il est également possible que des niveaux plus élevés de satisfaction de vie conduisent à une meilleure satisfaction corporelle, plutôt que l’inverse.
À la lumière des résultats de ces études, on pourrait émettre l’hypothèse que les hormones d’affirmation de genre et/ou les hormones d’affirmation de genre combinées à la chirurgie pourraient avoir le même effet positif sur le fonctionnement psychosocial chez les enfants ou adolescents présentant une DG. Cependant, des revues systématiques récentes (Ludvigsson et al., 2023 ; Taylor et al., 2024) ont montré qu’il existe un manque d’études de haute qualité concernant les issues psychologiques et de santé mentale chez les adolescents présentant une DG traités par bloqueurs pubertaires ou hormones d’affirmation de genre.
Ainsi, aucune conclusion définitive ne peut être tirée à ce stade, et davantage d’études sont nécessaires à l’avenir.
En outre, les éventuels effets indésirables doivent faire l’objet de discussions et d’investigations continues. Dans le cas des analogues de la GnRH, les données disponibles sur leur effet sur la minéralisation osseuse sont discordantes et incomplètes (Saggese et al., 1993). Plusieurs études montrent une densité osseuse absolue inchangée, accompagnée d’une diminution des paramètres du remodelage osseux et d’une baisse des scores z de densité minérale osseuse (Navabi et al., 2021 ; Vlot et al., 2017). Ces résultats suggèrent un développement osseux compromis chez les jeunes sous suppression pubertaire comparés à des pairs du même sexe assigné à la naissance.
D’un autre côté, des données antérieures ont démontré une normalisation de la densité minérale osseuse absolue et/ou des scores z durant le traitement hormonal d’affirmation de genre (Delemarre-van de Waal & Cohen-Kettenis, 2006 ; Mueller et al., 2005). Toutefois, les études examinant les effets à long terme des analogues de la GnRH sur la densité minérale osseuse sont rares.
D’autres préoccupations concernent les éventuels événements cardiovasculaires indésirables associés à l’hormonothérapie d’affirmation de genre (Martinez et al., 2020 ; Ocampo-Serna et al., 2020). Certains auteurs ont trouvé un risque accru de thromboembolie veineuse chez les femmes trans* recevant une hormonothérapie d’affirmation de genre, comparées à des femmes cisgenres sans traitement hormonal (Getahun et al., 2018). Les facteurs de risque confondants tels que l’usage de substances, les infections ou le tabagisme sont rarement inclus dans ces études, dont certains sont connus pour être plus fréquents dans la communauté trans* (World Health Organization, 2015).
D’autres domaines nécessitant davantage de preuves incluent la dysfonction sexuelle, les douleurs pelviennes, les maladies inflammatoires pelviennes, l’infertilité et la neurocognition (Baxendale, 2024).
Bien qu’il soit hors du champ de cette étude de formuler des affirmations concernant les aspects liés à la santé somatique, ceux-ci doivent être soigneusement pris en compte par les cliniciens et les chercheurs.



Limitations
Une limitation majeure de cette étude est son caractère naturaliste, impliquant une assignation non randomisée et rétrospective aux groupes, ce qui a conduit à des tailles de groupe inégales. Plus précisément, le groupe de participant·e·s n’ayant reçu ni hormones ni chirurgie d’affirmation de genre était relativement petit.
Nous sommes également conscients du fait qu’en l’absence de randomisation, l’appartenance à un groupe peut avoir été influencée par des déterminants non détectés et donc biaisée.
De plus, les personnes assignées filles à la naissance étaient surreprésentées. Cependant, ces proportions reflètent la démographie générale des personnes sollicitant des soins liés à l’identité de genre.
Trois points temporels distincts pour chaque individu (avant l’intervention médicale, après l’hormonothérapie d’affirmation de genre, et après la chirurgie d’affirmation de genre) auraient permis une évaluation plus précise de l’effet supplémentaire de la chirurgie sur la satisfaction corporelle.
En outre, en raison de la petite taille de l’échantillon, les adolescent·e·s sous blocage pubertaire ont été inclus·e·s dans le groupe non traité. Or, un blocage pubertaire précoce peut influencer substantiellement la satisfaction corporelle, et dans de futures études, ce groupe devrait être examiné séparément.
Par ailleurs, nos données proviennent de questionnaires et d’entretiens. Le BIS est une mesure unidimensionnelle qui ne tient pas compte des émotions liées à son incarnation et ne capture donc pas toutes les facettes de la satisfaction corporelle. Il est possible que des recherches plus qualitatives soient mieux adaptées pour saisir la complexité de la satisfaction corporelle chez les personnes transgenres (McGuire et al., 2016).
Une autre limitation de cette étude est qu’aucune donnée n’a été recueillie concernant l’atteinte ou non des objectifs thérapeutiques définitifs au point temporel T1, ce qui pourrait influencer les niveaux de satisfaction corporelle.
Les concepts d’effets cliniques/réponses et d’effets statistiques sont tous deux importants (Pintea, 2010). Les effets cliniques se réfèrent à l’impact réel et significatif du traitement sur la santé ou le bien-être d’un·e patient·e, tandis que les effets statistiques concernent la signification de ces effets tels que déterminés par les analyses statistiques, indiquant s’ils sont probablement dus au traitement plutôt qu’au hasard.
Bien qu’il n’existe aucun seuil établi pour une amélioration clinique sur l’échelle BIS, les améliorations moyennes pour les groupes GAHT et GAHT + GAS dans notre étude étaient respectivement de 13 % et 18 %. (Il s’agit d’une amélioration pouvant avoir une importance clinique pour le/la patient·e, mais il n’est pas clair si elle se situe dans un intervalle considéré comme une réponse définie pour ce questionnaire.)
Le groupe sans traitement présentait des niveaux plus faibles d’insatisfaction corporelle et de DG au départ, ce qui peut avoir influencé leur moindre probabilité de recevoir des interventions d’affirmation de genre.
De plus, la participation à une thérapie laser ou à une orthophonie n’a pas été contrôlée dans l’étude, et cela pourrait avoir influencé la satisfaction corporelle des participant·e·s.
Un autre sujet important pour les études futures est le rôle des comorbidités psychiatriques dans la satisfaction corporelle, car une image corporelle négative est souvent associée à des troubles mentaux (Scheffers et al., 2017).
Enfin, un biais de sélection et un biais de réponse potentiels doivent être pris en considération, étant donné que notre population fréquentait un service spécialisé de l’identité de genre d’une clinique psychiatrique et qu’une partie des participant·e·s initial·e·s se sont retiré·e·s avant l’évaluation T1. Ces résultats peuvent donc ne pas être généralisables à des adolescent·e·s recherchant des services liés à l’identité de genre dans des contextes non spécialisés.
Il convient également de mentionner, lors de l’évaluation des soins d’affirmation de genre, que certaines personnes ne poursuivent pas la voie de la transition de genre et que certaines voix plaident pour davantage de recherches sur les facteurs contribuant à la désistance (Butler & Hutchinson, 2020).
Enfin, cette étude n’apporte des réponses que sur les effets à court terme des interventions d’affirmation de genre, et de futures études se concentrant sur la satisfaction à long terme ainsi que sur le rôle d’un éventuel regret lié à des changements corporels irréversibles sont nécessaires.
Conclusion
Les résultats de cette étude ont montré que les adolescents présentant une dysphorie de genre qui recevaient une hormonothérapie d’affirmation de genre ou une hormonothérapie combinée à une chirurgie d’affirmation de genre présentaient une amélioration statistiquement significative de la satisfaction corporelle dans un intervalle en moyenne d’environ deux ans.
Aucune différence entre ces deux groupes recevant un traitement n’a été trouvée dans notre étude d’analyse longitudinale.
Concernant les prédicteurs non médicaux, une transition sociale et un meilleur fonctionnement familial étaient statistiquement significativement associés à une insatisfaction corporelle plus faible lors du suivi.
En outre, des associations corrélationnelles ont été trouvées entre la dysphorie de genre, la satisfaction corporelle et la satisfaction de vie, reflétant l’enchevêtrement de ces processus.
Les principaux points à retenir pour les cliniciens, mais aussi pour les jeunes et leur entourage en tant que base pour une prise de décision éclairée, sont la réduction contrôlée statistiquement de l’insatisfaction corporelle grâce aux interventions médicales d’affirmation de genre chez les adolescents présentant une DG. Également pertinents d’un point de vue clinique sont l’importance du soutien social, de la transition sociale et du fonctionnement familial.
Cependant, il existe encore peu de preuves pour tirer des conclusions robustes concernant l’effet des interventions d’affirmation de genre sur le bien-être psychosocial global à l’adolescence. L’écart de connaissances existant doit être pris en compte dans la pratique clinique, et davantage d’études longitudinales de haute qualité sont nécessaires.




