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Des soins éthiques nécessitent une synthèse des meilleures données probantes disponibles

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    La Petite Sirène
  • 10 juin
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 16 heures

Moti Gorin, Chan Kulatunga-Moruzi, Ari R. Joffe & J. Cohn

Pages 73-76 | Publié en ligne : 06 juin 2025 - The American Journal of Bioethics - Volume 25, 2025


INTRODUCTION : LES DONNÉES PROBANTES SONT ESSENTIELLES


Les résultats des revues systématiques de la littérature remettent sérieusement en question de nombreuses affirmations avancées par Jeffrey Kirby (Citation2025) dans son article « Une analyse éthique multi-perspective des soins d’affirmation de genre pour les jeunes : implications pour la pratique et les politiques », avec des conséquences directes sur ses conclusions éthiques.


Les revues systématiques bien conduites constituent un pilier fondamental de la médecine fondée sur les preuves. En utilisant des protocoles standardisés conçus pour minimiser les biais et garantir la fiabilité, elles évaluent rigoureusement la qualité des données scientifiques disponibles, en résumant

la littérature sur une question donnée [à l’aide de] méthodes explicitement définies et reproductibles permettant de rechercher systématiquement, d’évaluer de manière critique et de synthétiser les données issues de la recherche primaire (Cass Citation2024, 54).

Les revues systématiques sont également à la base de recommandations cliniques fiables (Block Citation2023) et fournissent les informations les plus solides en ce qui concerne le niveau de certitude et de qualité des données probantes (les études individuelles étant de qualité inférieure ; l’opinion d’expert étant la plus faible [Cass Citation2024 ; McDeavitt et al. Citation2025]).


Les synthèses de revues systématiques (umbrella reviews), comme celle de Brignardello-Petersen et Wiercioch (Citation2022), compilent rigoureusement les résultats de plusieurs revues systématiques.


ÉTAT DES DONNÉES PROBANTES


De nombreuses revues systématiques des données scientifiques sous-jacentes à la transition médicale pédiatrique (bloqueurs de puberté, hormones, chirurgie), commandées par des autorités sanitaires internationales et menées de manière indépendante par des chercheurs de premier plan au Royaume-Uni, en Europe et au Canada, ont toutes abouti à la même conclusion : le niveau de preuve des bénéfices est faible à très faible (Brignardello-Petersen et Wiercioch Citation2022 ; Cass Citation2024 ; McDeavitt et al. Citation2025 ; Miroshnychenko et al., Citation2024, Citation2025a, Citation2025b).


Un niveau de preuve « faible » ou « très faible » est une évaluation du système GRADE correspondant à une confiance « limitée » ou « très limitée » dans le fait que l’effet réel corresponde à l’effet estimé ; autrement dit :

« L’effet réel peut être / est probablement très différent de l’estimation de l’effet », respectivement (Miroshnychenko et al. Citation2024, p. 86).

Plus largement :

« En raison de limites importantes dans le corpus de données probantes, il existe une grande incertitude quant aux effets des bloqueurs de puberté, des hormones sexuelles croisées et des chirurgies chez les jeunes [de 21 ans et moins] présentant une dysphorie de genre » (Brignardello-Petersen et Wiercioch Citation2022, p. 5).

La médecine pédiatrique du genre est un domaine « remarquablement pauvre en données probantes » (Cass Citation2024, p. 13).


Le tableau 1 résume plusieurs résultats potentiellement bénéfiques évalués par les revues systématiques utilisant le système GRADE ou une version modifiée de celui-ci.


L’analyse éthique de Kirby passe sous silence ces avancées scientifiques majeures


Elle s’appuie plutôt sur un échantillon restreint, hautement sélectif, d’études faibles et parfois obsolètes, dont la plupart figurent dans les revues systématiques susmentionnées (voir aussi Abbruzzese et al., Citation2023), pour affirmer l’existence d’une « amélioration du fonctionnement en santé mentale et du bien-être » (Kirby Citation2025, p. 63).


Kirby n’apporte pas non plus de preuve à l’appui de ses affirmations concernant d’autres bénéfices supposés (Kirby Citation2025). De plus, les interventions médicales ne semblent pas offrir de “temps pour réfléchir” (Cass Citation2024, p. 176).


Les soins d’affirmation de genre pédiatriques (GAC) présentent des risques connus ou plausibles pour la fertilité, la fonction sexuelle, la densité minérale osseuse, le développement cognitif, la santé cardiovasculaire, et d’autres aspects de la santé (Abbruzzese et al., Citation2023 ; Cass Citation2024 ; McDeavitt et al., Citation2025).


Kirby affirme que « peu de patients détransitionnent » (Kirby Citation2025), en s’appuyant sur une seule étude avec un temps de suivi insuffisant ; cependant, les taux de détransition et de regret sont inconnus (Brignardello-Petersen et Wiercioch 2022 ; Cass Citation2024 ; McDeavitt et al. Citation2025).


Les preuves présentées par Kirby sont donc insuffisantes pour soutenir son affirmation selon laquelle les bénéfices identifiés « semblent l’emporter sur les charges identifiées, légères à modérées, des soins d’affirmation de genre » (Kirby Citation2025, p. 63).


Ni les études qu’il cite, ni l’ensemble du corpus scientifique ne justifient la déclaration selon laquelle :


« L’analyse comparative actuelle des bénéfices et des risques des soins d’affirmation de genre pour les jeunes soutient la poursuite de l’utilisation d’une version du modèle d’affirmation de genre pour la jeunesse » (Kirby Citation2025, p. 68).

DÉFORMATION DU DÉBAT EN CONFLIT POLITIQUE


La Finlande, la Suède et le Royaume-Uni ont publié des recommandations mises à jour, plus prudentes, fondées sur et justifiées par des revues systématiques rigoureuses de la littérature scientifique (Cass Citation2024 ; Pasternak et al., Citation2019) — et non par « une forte/predominante vague d’opposition politique » (Kirby Citation2025, p. 66).

Sur la base de leurs revues systématiques, la Suède a conclu que les « risques liés aux bloqueurs de puberté et aux traitements hormonaux ‘l’emportent actuellement sur les bénéfices potentiels’ pour les mineurs » (Block Citation2023, p. 2) et recommande désormais le soutien psychologique comme traitement de première intention, comme c’est également le cas en Finlande et au Royaume-Uni (Block Citation2023 ; Cass Citation2024).


De manière frappante, Kirby ne mentionne pas du tout ces évolutions internationales majeures. Il affirme au contraire que les parents réticents à approuver une transition médicale pour leur enfant « pourraient être influencés par l’émergence d’un mouvement conservateur axé sur les droits parentaux » (Kirby Citation2025, p. 60).

Une autre possibilité — que Kirby ne prend pas en compte — est que ces parents soient informés des avancées scientifiques dans ce domaine, et estiment en conséquence que l’intervention médicale n’est pas appropriée, compte tenu des bénéfices non prouvés et des risques bien documentés.


DES RECOMMANDATIONS FIABLES


Les recommandations de Kirby s’appuient sur ce qu’il appelle des « lignes directrices de référence » (Kirby Citation2025, p. 66), et il présente la World Professional Association for Transgender Health (WPATH), la Société d’endocrinologie (Endocrine Society), ainsi que deux autres organisations liées ou affiliées à la WPATH, comme des « organismes reconnus et crédibles qui élaborent et mettent à jour les lignes directrices sur les soins d’affirmation de genre » (Kirby Citation2025, p. 63).


Or, selon une évaluation officielle (Cass Citation2024), les lignes directrices de la WPATH et de la Endocrine Society n’ont pas été jugées recommandables, contrairement à celles de la Finlande et de la Suède, qui sont, elles, basées sur une véritable synthèse des données probantes.

Des recommandations fiables doivent s’appuyer sur des revues systématiques de la littérature et lier la force des recommandations à la qualité des données disponibles (Block Citation2023, p. 2).


À l’inverse, les lignes directrices de la WPATH sur les adolescents affirment de manière incorrecte qu’une revue systématique des résultats chez les adolescents n’était pas possible, alors que certaines étaient déjà disponibles (voir par exemple Brignardello-Petersen et Wiercioch, Citation2022).

Quant à la Société d’endocrinologie, elle émet des recommandations fortes sur la base de données de faible voire très faible qualité, sans aucune justification (Block Citation2023).


De plus, on sait désormais que la WPATH avait bien commandé des revues systématiques, mais est intervenue pour bloquer leur publication (Cheung et al., Citation2025).


« DÉSINFORMATION » LIÉE À LA RECHERCHE EN SANTÉ


Kirby évoque également « la mauvaise compréhension ou la promotion intentionnelle de la désinformation/mésinformation sur la nature et les types de recherches qui peuvent et doivent éclairer les soins dits d’affirmation de genre pour les jeunes » (Kirby, 2025, p. 65). Il laisse entendre que ceux qui s’inquiètent du manque de données exigent des essais contrôlés randomisés (ECR). Cela est faux et déforme les exigences de la médecine fondée sur les preuves (Cass, 2024 ; Cheung et al., 2025 ; McDeavitt et al., 2025).


Kirby affirme ensuite, de manière inexplicable : « Ironiquement, la conclusion de la Dre Cass selon laquelle, pour la majorité des jeunes, une voie médicale n’est pas la meilleure option pour gérer leur détresse liée au genre à l’heure actuelle, n’est pas fondée sur les recherches existantes » (Kirby, 2025, p. 66). En réalité, les recommandations du Rapport Cass sont fondées sur une synthèse de recherches qualitatives commanditées, sept revues systématiques commandées (et évaluées par les pairs), quatre autres revues systématiques, ainsi qu’un processus de consultation avec toutes les parties prenantes, y compris les patients et les parents (Cass, 2024). Le Rapport Cass constitue à ce jour la synthèse la plus rigoureuse et complète des données disponibles concernant les soins pédiatriques dits « d’affirmation de genre ».


Les critiques formulées par Kirby à l’encontre du Rapport Cass semblent reposer sur un essai publié sur un site web de la faculté de droit de Yale, non évalué par les pairs, contenant de nombreuses inexactitudes et affirmations non étayées, qui ont déjà été traitées dans des articles scientifiques évalués par les pairs (Cheung et al., 2025 ; McDeavitt et al., 2025). Il convient également de noter que la formulation du Rapport Cass est moins catégorique que celle rapportée par Kirby. Elle précise en effet :


« Pour la majorité des jeunes, une voie médicale peut ne pas être la meilleure option… » (Cass, 2024, p. 30, italiques ajoutés).


Paradoxalement, certaines recommandations de Kirby sont déjà intégrées dans le Rapport Cass


Par exemple, Kirby recommande (Kirby, 2025, pp. 67–68) que :

« La politique publique de santé soit véritablement informée par les résultats d’un processus dynamique de délibération impliquant des parties prenantes légitimes (y compris celles directement concernées par la politique, c’est-à-dire ici les jeunes souffrant de dysphorie de genre et leurs parents), des experts du domaine, des organisations de santé pertinentes et non politisées, ainsi que des personnes ressources compétentes, incluant, le cas échéant, des spécialistes en droit de la santé et en éthique médicale. »

Le Rapport Cass a précisément poursuivi cet objectif grâce à des recherches qualitatives commanditées et à des réunions avec plus de 1 000 parties prenantes (Cass, 2024).


Kirby écrit également :


« Des personnes et des groupes semblables doivent être traités de manière semblable, sauf si une différence pertinente peut justifier un traitement différencié » (Kirby, 2025, p. 64).
La Dre Cass est d’accord :
« Tout d’abord, [les jeunes] doivent bénéficier des mêmes standards de soins que le reste du système de santé britannique (NHS), ce qui signifie que les traitements doivent être fondés sur des preuves solides. » (Cass, 2024, p. 14)

CONCLUSION

Un examen actualisé et précis de l’état des preuves scientifiques sous-jacentes et des recommandations cliniques pertinentes affaiblit les arguments éthiques avancés par Kirby en faveur des soins pédiatriques d’affirmation de genre (GAC).


Premièrement, il n’est pas vrai que les données scientifiques soutiennent un rapport bénéfice/risque favorable pour l’utilisation d’interventions hormonales ou chirurgicales dans le traitement de la dysphorie de genre pédiatrique. Par conséquent, proposer ou fournir ces interventions à des adolescents contrevient au devoir de non-malfaisance et de bienfaisance des cliniciens.


Deuxièmement, bien que Kirby ait raison d’affirmer que les cliniciens ont le devoir de respecter l’autonomie du patient, cela n’implique pas qu’ils soient obligés d’offrir des interventions dénuées de rapport bénéfice/risque positif. Au contraire, les cliniciens ont le devoir de s’abstenir de proposer des traitements dont les bénéfices attendus ne sont pas proportionnés aux risques anticipés.


Enfin, s’il est injuste de refuser à des patients vulnérables des traitements bénéfiques fondés sur des preuves, il est tout aussi injuste de leur proposer ou fournir des interventions dont les risques l’emportent sur les bénéfices, surtout lorsqu’une alternative thérapeutique existe.


Kirby, tout comme les auteurs des recommandations finlandaises, suédoises et britanniques, vise à soulager la souffrance des jeunes vulnérables et à améliorer leur santé. Toutefois, seuls ces trois derniers, en priorisant les traitements psychologiques et psychopharmacologiques fondés sur des preuves (Cass, 2024, p. 31), proposent une approche véritablement alignée sur les meilleures données disponibles, et donc conforme à la meilleure pratique médicale.


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