Accompagnement des jeunes présentant une diversité de genre
- La Petite Sirène
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Dernière mise à jour : il y a 4 jours
Dix années d’expérience dans l’accompagnement des jeunes présentant une diversité de genre en Flandre, Belgique. Un aperçu clinique.
2021
Gaia Van Cauwenberg, Clinique Pédiatrique du Genre, Centre de Sexologie et de Genre, Hôpital Universitaire de Gand, Gand, Belgique.
Karlien Dhondt, MD, PhD, Clinique Pédiatrique du Genre, Département de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Centre de Sexologie et de Genre, Hôpital Universitaire de Gand, Gand, Belgique.
Joz Motmans, PhD, Transgender Infopunt, Hôpital Universitaire de Gand, et Centre de Recherche sur la Culture et le Genre, Université de Gand, Gand, Belgique.
Trad. FR.
RÉSUMÉ
Les recherches sur les enfants et adolescents présentant une variance de genre ont suscité un débat concernant l’augmentation du nombre d’orientations, le ratio entre les sexes dans ces orientations, l’impact des soins trans sur leur bien-être psychologique, ainsi que le nombre d’enfants/adolescents qui arrêtent le traitement.
Cette étude rétrospective inclut le nombre d’orientations, les premiers contacts en consultation externe et le nombre d’abandons (« drop-outs ») entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2016 dans l’unique clinique pédiatrique du genre en Belgique.
Les problèmes émotionnels et comportementaux, mesurés par le Child Behavioral Checklist (CBCL) et par le Youth Self-Report (YSR), ont été examinés.
Les adolescents qui ont cessé l’accompagnement ont été contactés pour un suivi.
Nous avons inclus 235 adolescents orientés vers la clinique, dont 177 (sur 235) ayant eu un premier rendez-vous physique avec un psychologue.
Presque un sur quatre (24,5 %) au YSR et plus de la moitié (54,8 %) au CBCL se situent dans la zone clinique pour le score de problèmes totaux.
Au YSR, 40,4 % ont rapporté avoir des pensées suicidaires, et 32,1 % ont rapporté des comportements d’automutilation et/ou au moins une tentative de suicide, tous dans les six derniers mois.
Cinq adolescents se sont suicidés.
Selon les parents, davantage de difficultés avec les pairs prédit davantage de problèmes émotionnels et comportementaux (F(5, 36) = 3,539, p = .011).
Dans ce groupe d’étude, 29 adolescents ont cessé l’accompagnement, dont 7 ont pu être retrouvés dans la clinique du genre pour adultes après 2016.
Les résultats indiquent un besoin de soutien mental pour les jeunes trans et leurs familles, et soulignent en outre la nécessité d’études de suivi longitudinales.
INTRODUCTION
Ces dernières années, le nombre d’orientations vers les cliniques pédiatriques du genre a augmenté dans de nombreuses régions (1–6). Il a été démontré que les adolescents orientés vers des structures cliniques présentent davantage de problèmes émotionnels et comportementaux par rapport à leurs pairs (7).
Cela peut signifier que les adolescents présentant une variance de genre, mais ne rencontrant pas de difficultés psychologiques, hésitent davantage à accéder tôt aux services de soins trans.
Mais il faut également reconnaître que l’accès aux soins trans n’est pas disponible partout (8, 9).
Les recherches menées parmi les adolescents présentant une variance de genre rapportent des incidences élevées de symptômes dépressifs (12,8–42 %), de harcèlement (47–62,5 %), de pensées et comportements d’automutilation (20,6–46 %), de pensées suicidaires (27,5–65 %), et de tentatives de suicide (9,3–45,2 %) (7, 8, 10–18).
Un manque de soutien et d’acceptation sociale, en particulier de la part des parents et des pairs, est lié à ces difficultés psychologiques, et leur intégration globale dans la société a un impact sur leur santé mentale (19–21).
La santé mentale des adolescents présentant une variance de genre est clairement liée à des environnements soutenants permettant une transition sociale et offrant un accès à des services de soins trans (22, 23).
La recherche sur le bien-être des enfants et adolescents présentant une variance de genre a récemment suscité un débat concernant :
l’augmentation des orientations,
le ratio entre les sexes dans ces orientations,
l’impact des soins trans sur leur bien-être psychologique,
ainsi que le nombre d’enfants et adolescents qui transitionnent ou abandonnent le traitement (24–26).
Peu d’études ont recontacté les adolescents orientés vers une clinique du genre durant l’enfance et évalué leur identité de genre et leur orientation sexuelle au suivi (27–31).
L’intensité de la dysphorie de genre (DG) durant l’enfance semble être un prédicteur de la poursuite des soins trans à l’adolescence (29, 30, 32).
Steensma et al. (2011) ont rapporté que l’intervalle entre 10 et 13 ans est crucial : les changements dans l’environnement social, l’anticipation et les changements corporels réels durant la puberté, ainsi que les premières expériences d’attirance romantique et sexuelle, influencent tous les sentiments d’incongruence de genre (31).
Dans cet article, après plus d’une décennie de soins transgenres pour les enfants et adolescents dans la clinique pédiatrique de l’Hôpital Universitaire de Gand, nous souhaitons contribuer à ce domaine de recherche et analyser pour la première fois :
les évolutions des orientations et des débuts de prise en charge dans notre clinique pédiatrique pour les clients adolescents (âgés de 12 à 18 ans) ;
leurs problèmes émotionnels et comportementaux, y compris les comportements d’automutilation, ainsi que les idées et tentatives suicidaires, mesurés via le CBCL et le YSR (33, 34) ;
la situation de vie actuelle, les identités de genre et sexuelles, et les raisons de cesser l’accompagnement chez les adolescents ayant interrompu l’accompagnement dans notre clinique.
Nous choisissons délibérément de nous concentrer sur les adolescents et non sur les enfants prépubères, car il existe peu d’informations sur les adolescents présentant une variance de genre, lesquels, selon Steensma et al. (2011), vivent une phase de vie cruciale. De plus, les données concernant les enfants dans notre clinique sont très limitées.
MÉTHODES
Échantillon et procédure
Pour cette étude rétrospective avec un design clinique transversal, une base de données client anonyme a été fournie par la Clinique Pédiatrique du Genre de l’Hôpital Universitaire de Gand, qui est le seul centre pédiatrique en Belgique pour les enfants et adolescents présentant une variance de genre et leurs familles.
La base de données client comprend tous les adolescents entre 12 et 18 ans, qui ont été orientés vers notre clinique pédiatrique entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2016. Ces orientations proviennent des parents, d’autres prestataires de soins, de médecins généralistes et parfois des adolescents eux-mêmes. Une fois orientés, les clients sont placés sur une liste d’attente et contactés dès qu’un des psychologues de l’équipe pédiatrique a la possibilité de débuter un nouveau suivi.
Depuis son ouverture en 2007, la Clinique Pédiatrique du Genre propose une évaluation psychologique et médicale réalisée par une équipe pluridisciplinaire (psychologues, psychiatre, endocrinologues, travailleurs sociaux). Le cadre clinique a été élaboré au cours de la dernière décennie, en utilisant les lignes directrices des Standards of Care formulées par la World Professional Association of Transgender Health (WPATH), ainsi que les lignes directrices de la Société d’Endocrinologie (35, 36).
La prise de décision partagée et des soins équilibrés, respectant les besoins individuels et familiaux, constituent les fondements de ce processus.
L’étude a été approuvée par la Commission d’Éthique Médicale (CME) de l’Hôpital Universitaire de Gand (BE2017/0697). En raison du caractère rétrospectif de l’étude, un consentement éclairé des adolescents et de leurs parents devait être obtenu afin de consulter leurs dossiers médicaux pour extraire les données du CBCL et du YSR, suivant une procédure de contact ponctuel. Une invitation a été envoyée par leur (ancien) psychologue pour obtenir ce consentement.
Les familles des adolescents dont l’équipe savait qu’ils s’étaient suicidés n’ont pas été contactées, car leurs données CBCL et YSR ne sont pas incluses dans l’analyse.
Les adolescents ayant cessé l’accompagnement — appelés ici « drop-outs » — ont été contactés par écrit par leur ancien psychologue afin de les informer des objectifs de l’étude, et ont été aimablement invités à contacter les chercheurs pour l’analyse complémentaire des abandons.
Conformément à la décision de la CME, nous n’étions autorisés à répéter cette invitation qu’une seule fois.
La coordinatrice des soins de notre clinique du genre a vérifié leurs profils dans la base de données actuelle de la clinique pour déterminer si ces clients étaient revenus dans nos services de soins à un âge ultérieur.
L’équipe de recherche a reçu les résultats globaux, divisés selon le sexe assigné à la naissance (SAAB), mais conformément aux directives éthiques, aucune information supplémentaire n’a été fournie.
Mesures
Données démographiques
La base de données client contenait des informations sur :
l’âge,
le sexe assigné à la naissance (SAAB),
la date de naissance,
la date d’orientation,
la date du premier rendez-vous,
l’arrêt de l’accompagnement (oui/non),
et, le cas échéant, la date de la dernière consultation.
Problèmes émotionnels et comportementaux
Les données du CBCL et du YSR concernant les problèmes émotionnels et comportementaux ont été utilisées (33, 34, 37, 38).
Les variables dépendantes sont :
a) le score moyen des problèmes totaux
(i.e. la somme de tous les items notés 0, 1 ou 2),
b) le score moyen des problèmes internalisés,
c) le score moyen des problèmes externalisés.
Les T-scores et les scores dans la zone clinique (> 90e percentile ; T-scores > 63) peuvent être rapportés pour ces trois échelles.
L’item lié au genre, n° 110 (« souhaite être du sexe opposé »), a été recodé : la valeur a été fixée à 0 lorsqu’elle avait été notée 1 ou 2, afin d’éviter toute inflation artificielle du calcul des problèmes comportementaux (19, 39, 40).
Les pensées suicidaires, les comportements d’automutilation et les tentatives de suicide ont été rapportés en analysant les items :
n° 18 (« se fait du mal intentionnellement ou a tenté de se suicider »),
et n° 91 (« parle/pense à se tuer ») du YSR.
L’échelle des relations entre pairs (PRS) a été évaluée via les items :
n° 25 (« ne s’entend pas avec les autres enfants »),
n° 38 (« est souvent taquiné »),
n° 48 (« n’est pas apprécié des autres enfants »),
sur la base de recherches antérieures (6, 11, 19, 39, 41).
Les variables suivantes ont été utilisées comme prédicteurs du score total des problèmes émotionnels et comportementaux :
SAAB (sexe assigné à la naissance),
âge,
année de passation du questionnaire,
item de genre 110 (« souhaite être du sexe opposé »),
PRS (relations entre pairs).
Questionnaire d’abandon (« drop-out »)
Le questionnaire d’abandon étudiait :
la raison de l’arrêt de l’accompagnement,
l’identité de genre actuelle,
le rôle de genre,
l’orientation sexuelle (et ses éventuels changements),
ainsi que d’éventuelles expériences avec d’autres services de santé mentale.
Analyse statistique
Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel IBM SPSS Statistics 24.
Le seuil de signification a été fixé à 5 % (α = .05).
Les données descriptives ont été présentées sous forme de moyennes ± écarts types (SD) ou de fréquences (%).
Pour les données continues :
le test t apparié
et le test de Mann-Whitney U
ont été utilisés.
Pour les données catégorielles :
des tests Chi carré
ou des tests exact de Fisher
ont été appliqués pour comparer les scores du CBCL et du YSR.
Pour identifier les prédicteurs des problèmes émotionnels et comportementaux sur le CBCL et le YSR, une régression linéaire multiple (MLR) a été appliquée.
RÉSULTATS
Entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2016, 235 adolescents âgés de 12 à 18 ans ont été orientés vers la Clinique Pédiatrique du Genre.
Dans ce groupe :
35 adolescents ont eu leur première consultation après le 31 décembre 2016 et ont donc été exclus.
Parmi les 200 orientations restantes :
12 participants ont été dirigés vers l’équipe du genre pour adultes, car ils avaient atteint l’âge de la majorité au moment de leur premier rendez-vous,
et 11 ne se sont jamais présentés à leur premier rendez-vous.
Cela a abouti à un échantillon de 177 participants âgés de 12 à 18 ans ayant eu au moins un contact physique avec un psychologue de la clinique pédiatrique.
La sélection de l’échantillon est également illustrée dans la Figure 1.
Parmi ces 177 participants, nous savons que cinq (2,8 %) adolescents se sont suicidés.
Données démographiques
L’âge moyen lors de la première consultation était de 15,01 ans (SD = 1,42).
À partir de 2010, il y avait significativement plus de jeunes assignés femme à la naissance (AFAB) que de jeunes assignés homme à la naissance (AMAB)
(χ² = 8,125, p = .004),
mais le ratio global selon le sexe assigné à la naissance est de 1 : 1,77 (AMAB : AFAB).
Le nombre total de nouvelles admissions a augmenté au cours des dix dernières années :
moins de dix admissions par an avant 2011,
plus de vingt-cinq admissions par an après 2011.
La Figure 2 montre le nombre de premières sessions entre 2007 et 2016 selon le sexe assigné à la naissance (SAAB).
Problèmes émotionnels et comportementaux
Cinquante-neuf adolescents et leurs parents ont donné leur consentement pour l’utilisation des données des questionnaires CBCL et YSR, ce qui a donné :
42 CBCL complétés
et 52 YSR complétés.
Les CBCL ont été complétés :
par la mère (73,2 %),
par le père (22 %),
ou par d’autres (ex. grands-parents) (4,9 %).
Selon le test de Shapiro-Wilk, une distribution normale a été observée pour tous les scores, sauf :
pour les scores externalisés du YSR (D(52) = .887, p < .001),
pour les scores externalisés du CBCL (D(42) = .931, p = .014),
et pour les T-scores du score de problèmes totaux du CBCL (D(42) = .947, p = .049).
Problèmes internalisés et externalisés
Tableau 1 : Scores des problèmes émotionnels et comportementaux pour les trois échelles du CBCL et du YSR

Table 1 : Scores des problèmes émotionnels et comportementaux pour les trois échelles du CBCL et du YSR

Pour toutes les échelles du YSR, à l’exception de l’échelle des comportements externalisés pour les AMAB, il existe des déviations significatives (intervalles de confiance à 95 % ne se chevauchant pas) des T-scores par rapport à la population normée néerlandaise (M = 10, SD = 10).
24,5 % des adolescents rapportent un score total de problèmes se situant dans la zone clinique (> 90ᵉ percentile) (T-score > 63),
28,8 % rapportent des problèmes internalisés
et 13,5 % des problèmes externalisés.
Dans l’ensemble du groupe étudié, les adolescents ont obtenu des scores significativement plus élevés à l’échelle YSR des problèmes internalisés qu’à celle des problèmes externalisés (t(51) = 2,986, p = .004).
Cela était également le cas pour les adolescents AMAB (t(21) = 2,320, p = .030), mais pas pour le groupe AFAB (t(29) = 1,888, p = .069).
Aucune différence significative n’a été trouvée entre les deux groupes de sexe assigné à la naissance concernant les scores totaux, les scores internalisés et les scores externalisés.
Vingt et un adolescents (40,4 %) ont rapporté avoir des pensées suicidaires,
et 17 (32,1 %) ont rapporté des comportements d’automutilation et/ou au moins une tentative de suicide au cours des six derniers mois.
Dans le CBCL, il existe des déviations significatives (intervalles de confiance à 95 % ne se chevauchant pas) des T-scores par rapport à la population normée néerlandaise (M = 10, SD = 10) pour toutes les échelles.
Selon les parents :
54,8 % des adolescents se situent dans la zone clinique pour le score total des problèmes (> 90ᵉ percentile ; T-score > 63),
52,4 % pour les problèmes internalisés,
38,1 % pour les problèmes externalisés.
Les rapports parentaux ont montré que les adolescents obtenaient des scores significativement plus élevés pour les problèmes internalisés que pour les problèmes externalisés (t(41) = 2,670, p = .011).
Dans l’échantillon AFAB, le score internalisé était significativement plus élevé que le score externalisé (t(19) = 2,703, p = .014).
Dans l’échantillon AMAB, aucun effet significatif n’a été trouvé (t(21) = 1,043, p = .309).
Comme dans les auto-évaluations, aucune différence significative n’a été observée entre les deux groupes SAAB pour les scores totaux, internalisés et externalisés.
Relations avec les pairs
Le coefficient alpha de Cronbach pour l’échelle des relations avec les pairs (PRS) est de .80 pour le CBCL et de .50 pour le YSR.
En raison du faible coefficient alpha pour le PRS du YSR, aucune analyse supplémentaire n’a été effectuée (42).
Une analyse de régression linéaire multiple (MLR) a été réalisée avec cinq prédicteurs :
le sexe assigné à la naissance (SAAB),
l’âge au moment de la passation du questionnaire,
l’année de passation du questionnaire,
l’item de genre 110 (« souhaite être du sexe opposé »),
le score PRS (relations entre pairs).
La variable dépendante était le score total des problèmes émotionnels et comportementaux du CBCL, excluant les trois items du PRS.
L’analyse a montré un effet du PRS sur le score total du CBCL
(F(5, 36) = 3,539, p = .011).
Cela signifie que les adolescents qui ont des difficultés avec leurs pairs rapportent un score total de problèmes plus élevé au CBCL.
Les Tableaux 2 et 3 présentent les résultats détaillés de la MLR.


Abandon (« drop-out »)
Dans l’échantillon des 177 adolescents âgés de 12 à 18 ans ayant commencé l’accompagnement entre 2007 et 2016,
29 (16,4 %) ont cessé l’accompagnement à la clinique pédiatrique du genre.
Il y avait significativement plus d’adolescents AMAB (n = 19) que d’adolescents AFAB (n = 10) parmi ceux ayant interrompu l’accompagnement
(Χ² = 12,950, p < .001).
Compte tenu des directives strictes de la CME concernant le contact unique (« drop-in »), il est possible que certains clients n’aient pas pu être joints pour répondre au questionnaire d’abandon.
Seuls quatre des adolescents ayant cessé l’accompagnement ont répondu qu’ils étaient prêts à répondre au questionnaire.
Deux d’entre eux ont préféré fournir une réponse écrite et ont demandé à ne pas être contactés par téléphone.
Deux autres ont accepté d’être contactés par téléphone.
Cependant, nous n’avons pas réussi à les joindre.
Par conséquent, seuls deux questionnaires complétés ont été obtenus.
En outre, il convient de mentionner que trois parents ont contacté le psychiatre pour enfants par téléphone après avoir reçu la lettre d’invitation à participer à l’étude.
Ils nous ont informés que leur enfant ne souhaitait pas participer à l’étude et préférait ne plus être contacté à ce sujet, en raison de la nature sensible du thème.
Pour les 22 anciens clients restants, nous n’avons reçu aucune réponse.
Une analyse réalisée par la coordinatrice des soins de notre clinique a montré que sept (20 %) des 29 adolescents ayant cessé l’accompagnement sont réapparus dans la clinique du genre pour adultes après 2016.
Parmi ces sept :
trois étaient AMAB,
quatre étaient AFAB.
Étant donné que les questionnaires étaient anonymes, nous avons choisi de nous référer à ces participant·e·s par « ils/elles » ou « iels » lorsque nous parlons d’eux individuellement.
Les adolescents n’ont pas toujours indiqué leur identité de genre.
L’un des adolescents nous a informés qu’il avait cessé l’accompagnement parce qu’il n’en avait plus besoin.
Il vivait selon son sexe assigné à la naissance sans éprouver de difficultés liées à son identité de genre.
Son orientation sexuelle avait changé, passant de
« je ne savais pas quand j’ai commencé l’accompagnement »
à
« attiré(e) par les hommes et les femmes ».
L’autre participant nous a écrit pour expliquer qu’iel avait arrêté l’accompagnement parce qu’iel avait réalisé
« qu’iel pouvait être qui iel était »,
sans aucune modification médicale.
Iel s’identifiait comme gender fluid et s’exprimait comme homme pour deux raisons :
cela ne lui semblait pas faux ;
pour éviter des réactions des autres.
Iel décrivait cela comme si son propre genre devenait sans importance.
Son orientation sexuelle n’a pas changé durant / après l’accompagnement.
Après avoir cessé l’accompagnement dans notre centre, iel a commencé un suivi en santé mentale pour :
dépression,
anxiété,
automutilation,
pensées suicidaires,
tentatives de suicide.
DISCUSSION
À l’instar d’autres cliniques du genre, la clinique du genre de Gand a observé une augmentation du nombre de candidats ces dernières années (1–4).
Cela pourrait s’expliquer par :
a) la visibilité accrue des personnes transgenres dans les médias,
b) la disponibilité d’informations sur Internet,
c) une sensibilisation croissante à l’accompagnement et au traitement médical pour les adolescents (43, 44).
Une étude belge récente a révélé que :
l’âge moyen de prise de conscience de soi est de 12,7 ans dans différentes générations,
mais l’âge du coming-out a significativement diminué :
de 33,2 ans pour ceux nés entre 1965–1970,
à 27,7 ans pour ceux nés entre 1971–1985,
à 17,5 ans pour ceux nés entre 1986–2000 (45).
Cette baisse de l’âge du coming-out explique pourquoi une augmentation des demandes est visible dans les cliniques pédiatriques.
Entre 2010 et 2016, significativement plus d’adolescents AFAB que AMAB ont été orientés vers notre clinique.
Cette tendance a également été observée à Amsterdam, Londres et Toronto (3, 5, 6).
Une première explication possible est que :
la puberté commence plus tôt chez les adolescents AFAB que chez les adolescents AMAB,
ce qui pourrait entraîner un impact plus précoce des problèmes émotionnels qu’ils vivent concernant leur genre (3).
Mais si c’était le cas, on pourrait s’attendre à ce que plus d’adolescents AMAB soient orientés à mesure que l’âge augmente,
ce qui n’est pas observé (5).
Une autre explication possible est que les adolescents AMAB pourraient :
subir davantage de stigmatisation lorsqu’ils s’expriment dans une identité ou expression perçue comme plus féminine,
ce qui pourrait les amener à retarder ou éviter un coming-out (39).
Dans notre échantillon, les scores totaux et internalisés du CBCL et du YSR, ainsi que les scores externalisés pour les deux groupes SAAB dans le CBCL et pour le groupe AFAB dans le YSR, sont plus élevés que dans le groupe normatif néerlandais (37, 38).
Cela renforce les résultats d’études antérieures montrant que les adolescents présentant une variance de genre rapportent davantage de problèmes émotionnels et comportementaux que leurs pairs (7).
En Flandre, le groupe normatif néerlandais est utilisé pour comparer les T-scores du CBCL et du YSR.
Dans cette étude, aucune différence n’a été trouvée entre les adolescents AFAB et AMAB concernant les comportements internalisés ou externalisés dans les scores totaux du CBCL et du YSR.
Cela diffère cependant d’une étude comparative entre quatre cliniques : Pays-Bas, Royaume-Uni, Belgique et Suisse.
Dans cette étude :
les adolescents AMAB avaient des scores significativement plus élevés pour les problèmes internalisés du YSR,
tandis que les adolescents AFAB avaient des scores significativement plus élevés au CBCL pour les problèmes totaux et externalisés (39, 40).
Conformément aux résultats canadiens, néerlandais et britanniques, nous avons observé chez les adolescents AMAB des scores internalisés plus élevés que les scores externalisés au YSR (19, 40).
La divergence entre notre étude et les résultats cités pourrait s’expliquer par le faible nombre de participants dans notre échantillon.
L’échelle PRS (relations entre pairs) avait déjà été calculée dans des recherches antérieures et s’était avérée être un prédicteur des scores totaux au CBCL et au YSR (19).
Dans notre étude, nous avons trouvé que le PRS était un prédicteur uniquement pour le score total du CBCL.
Sur les 177 participants, cinq (2,8 %) adolescents sont connus pour s’être suicidés.
Selon l’Agence des Soins et de la Santé en Flandre, en 2017 :
le taux de suicide dans le groupe d’âge 10–14 ans était de 0,9 pour 100 000,
celui du groupe 15–19 ans était de 7,2 pour 100 000 (46).
Selon l’étude HBSC (Health Behavior of School-aged Children) :
13 % des garçons et
22,1 % des filles (13–18 ans)
ont eu à plusieurs reprises des pensées suicidaires en 2018 (47).
Cette même étude rapporte que :
8 % des garçons et
20,8 % des filles
ont déjà adopté des comportements d’automutilation (47).
Dans notre échantillon, les chiffres étaient plus élevés :
40,4 % ont eu des pensées suicidaires dans les six derniers mois,
32,1 % ont rapporté des comportements d’automutilation ou une tentative de suicide.
En résumé,
les adolescents trans flamands semblent plus à risque de comportements d’automutilation, de pensées suicidaires et de tentatives de suicide que leurs pairs cisgenres — ce qui concorde avec des données internationales publiées (7, 15–18).
La littérature concernant les taux d’abandon est limitée.
Des recherches néerlandaises antérieures se sont concentrées sur les enfants orientés vers des cliniques du genre et ont rapporté des taux d’abandon allant de 43 % à 88 % chez les enfants prépubères (27, 29–32).
Dans notre échantillon d’adolescents, nous avons trouvé un taux d’abandon de moins d’un sur cinq (16,4 %).
Selon l’étude de Steensma et al., la période entre 10 et 13 ans semble cruciale pour décider si les enfants poursuivent l’accompagnement dans une clinique du genre (11).
Cet intervalle correspond généralement à la puberté, une phase marquée par :
le développement des caractéristiques sexuelles secondaires,
des changements corporels intenses,
un possible accroissement de l’inconfort ou de la dysphorie.
Cela pourrait expliquer pourquoi nous avons trouvé un taux d’abandon plus faible dans notre groupe d’adolescents.
Nous avons observé une similitude avec les études antérieures sur les abandons :
dans les résultats de Steensma et al. ainsi que dans les nôtres, significativement plus de patients AMAB ont cessé l’accompagnement (29).
Les raisons sous-jacentes demeurent peu claires, mais une possible explication est la stigmatisation associée à la présentation d’une expression ou identité perçue comme plus féminine (39).
Nous notons également que, en 2015, Steensma et Cohen-Kettenis ont rapporté que
cinq adultes (3,3 %) de leur échantillon d’enfants (n = 150) avaient réapparu plus tard dans la clinique pour adultes (28).
Ce résultat semble comparable aux nôtres, où sept des 172 adolescents (4 %) sont réapparus dans la clinique adulte.
Ce chiffre est probablement une sous-estimation, car :
les soins trans pour adultes sont accessibles dans de nombreux endroits du pays,
contrairement aux soins pour mineurs trans,
et nous n’avons pas pu retrouver tous les adolescents ayant abandonné.
En raison du faible taux de réponse, probablement influencé par les directives éthiques strictes qui empêchaient des tentatives multiples de contact, nous n’avons pas réussi à recueillir des informations utiles concernant :
les circonstances de vie actuelles,
les identités de genre et sexuelles,
les motivations ayant conduit à cesser l’accompagnement,
chez les adolescents ayant quitté le suivi après l’intake.
Hypothétiquement, on peut supposer que ces adolescents :
avaient besoin de temps pour explorer davantage leur identité de genre avant d’envisager un traitement médical,
ou ne se sentaient pas à l’aise dans le protocole utilisé dans notre centre.
Il est également possible que leur identité de genre ait évolué, rendant toute autre intervention inutile.
D’autres explications plausibles incluent :
les réactions parentales,
les dynamiques familiales,
la pression ou les réactions sociales et des pairs,
qui ont peut-être rendu difficile la continuation d’un parcours de transition.
En conclusion,
les recherches sur les taux d’abandon sont hautement pertinentes, mais des études de suivi longitudinal sont nécessaires pour permettre des interprétations précises.
Outre les points forts, cette étude présente également certaines limites.
La puissance statistique concernant la mesure du bien-être émotionnel et comportemental est relativement faible : seuls 59 adolescents ont donné leur consentement pour participer.
Notre hypothèse est que, pour de nombreux adolescents, la procédure d’étude était trop compliquée.
Peut-être n’étaient-ils pas motivés à compléter le formulaire de consentement pour utiliser des questionnaires remplis des années auparavant.
Le nombre relativement faible de participants influence les résultats.
Par conséquent, nos conclusions doivent être interprétées avec prudence ou comparées avec d’autres recherches.
En Belgique, la clinique pédiatrique du genre de Gand est la seule clinique pédiatrique offrant des soins affirmatifs de genre.
En conséquence, les listes d’attente sont inacceptablement longues.
L’accès aux soins affirmatifs de genre est crucial, et les listes d’attente sont liées à la santé mentale, comme l’a montré une étude belge antérieure (45).
Les taux élevés de pensées suicidaires et de tentatives de suicide exigent un dépistage méticuleux et répété de l’état de santé mentale.
Ce constat, ainsi que les résultats du CBCL et du YSR, montrent qu’au moins une partie des jeunes trans flamands est très vulnérable.
Les professionnels de la santé travaillant avec des jeunes trans doivent être conscients de cette vulnérabilité.
La formation en soins trans pour les prestataires de soins jeunesse est cruciale.
Associée à l’élaboration d’un programme de traitement adéquat,
cela constitue une tâche prioritaire pour l’avenir.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier tous les adolescents qui nous ont donné leur consentement pour utiliser leurs données.
Merci également à nos collègues Jolien Laridaen et Heidi Vanden Bossche pour leur aide dans la collecte et l’encodage des données.




