Spotlight de l'OPS - Peut-on vraiment dire que la puberté bloquée n’affecte pas la sexualité adulte ? Une lecture critique d’une nouvelle étude néerlandaise
- La Petite Sirène
- 25 juin
- 6 min de lecture
Par Magali Pignard
En avril 2025, une étude de van der Meulen et al., publiée dans le Journal of Sexual Medicine a été présentée comme rassurante : selon ses auteurs, bloquer la puberté chez les adolescents trans n’aurait pas d’effet négatif sur leur vie sexuelle à l’âge adulte. Une lecture attentive du protocole et des résultats invite pourtant à une lecture plus prudente et nuancée.
Présentation de l’étude
Les chercheurs du Centre d’expertise sur la dysphorie de genre d’Amsterdam ont interrogé 70 adultes trans ayant commencé une suppression de puberté entre 1998 et 2011, suivie d’un traitement hormonal, et pour certains, d’une chirurgie. L’objectif était d’évaluer, plus d’une décennie après le début du traitement, la satisfaction sexuelle et la fréquence des dysfonctions sexuelles.
Les résultats sont les suivants :
52 % des femmes de naissance et 40 % des hommes se déclarent satisfaits de leur vie sexuelle.
58 % des femmes de naissance et 50 % des hommes de naissance rapportent au moins une dysfonction sexuelle. L’étude indique que les dysfonctions avec détresse étaient plus fréquentes que celles sans détresse, mais ne précise pas la proportion exacte pour chaque groupe.
Les auteurs indiquent que les taux de dysfonction et de satisfaction sexuelle sont similaires selon que la suppression de puberté ait commencé tôt (stades Tanner 2–3) ou plus tardivement (Tanner 4–5).
Un biais de loyauté institutionnelle non reconnu
Tous les auteurs de l’étude sont affiliés au centre néerlandais qui a conçu, mis en œuvre et promu le Dutch Protocol depuis plus de vingt ans. Autrement dit, ils évaluent aujourd’hui les résultats à long terme d’un protocole qu’ils ont eux-mêmes contribué à développer et à défendre. Cette situation crée un biais de loyauté institutionnelle : même de façon inconsciente, les chercheurs peuvent être tentés de formuler leurs hypothèses, de choisir leurs indicateurs ou d’interpréter leurs résultats d’une manière qui confirme la validité de leur propre travail passé. Ce type de biais ne signifie pas nécessairement une malhonnêteté, mais il peut altérer la neutralité de l’analyse.
Or, ce risque n’est ni reconnu ni discuté dans l’article, alors qu’il est fondamental lorsqu’une étude est réalisée par les mêmes personnes ou la même équipe que celles qui ont conçu et appliqué le protocole évalué. Dans ce type de situation, une analyse indépendante ou un regard extérieur aurait été préférable pour garantir une plus grande impartialité.
Un échantillon restreint et des biais non corrigés
Avec seulement 70 participants, dont seulement 20 hommes de naissance, l’étude repose sur un nombre trop restreint de personnes pour pouvoir tirer des conclusions solides ou représentatives. Un échantillon aussi limité augmente le risque que les résultats soient dus au hasard ou à des particularités de ce petit groupe plutôt qu'à des tendances générales fiables. Elle repose exclusivement sur des questionnaires auto-administrés, complétés en ligne plus de dix ans après les traitements. Les souvenirs peuvent être imprécis, subjectifs, et les résultats sont difficilement comparables à d’autres études sans instruments standardisés.
Des résultats présentés de façon optimiste
Plusieurs éléments dans la manière dont les auteurs interprètent et valorisent leurs résultats relèvent de ce que la littérature scientifique appelle le « spin » : une stratégie de présentation qui, selon Chiu et al. (2017), consiste à « déformer l’interprétation des résultats et à induire les lecteurs en erreur, de manière à rendre les conclusions plus favorables qu’elles ne le sont en réalité ».
Bien que 56 % des participants rapportent au moins une dysfonction sexuelle avec détresse, les auteurs écrivent que « la majorité n’a pas de problème sexuel significatif ».
Ils affirment que la satisfaction sexuelle est comparable à celle de la population générale, en citant un taux de 49 % dans leur cohorte contre 47 % dans un échantillon de population générale. Toutefois, aucune information n’est donnée sur les instruments. le contexte ou les biais méthodologiques de la population de comparaison.
Ils concluent à l’absence d’impact négatif du traitement, alors que leur protocole ne permet aucune inférence causale.
Une invraisemblance biologique ignorée
Dans les cas où la suppression de puberté est amorcée dès les stades précoces (Tanner 2–3), avant toute maturation sexuelle, les organes génitaux des garçons de naissance ne se développent pas. En l’absence d’exposition à la testostérone, ni le développement du pénis ni la construction des circuits neurologiques du plaisir sexuel n’ont lieu. La prise d’œstrogènes à l’adolescence puis la chirurgie génitale (vaginoplastie) ne recréent pas les structures sensitives d’un vagin biologique.
Ce questionnement n’est pas seulement théorique. Il est reconnu en interne par la présidente actuelle de la WPATH, Marci Bowers, elle-même chirurgienne spécialisée en vaginoplastie. Dans un échange daté de janvier 2022, elle déclare :
« Je ne connais à ce jour aucun individu affirmant avoir la capacité d’orgasme lorsqu’il a été bloqué au stade Tanner 2 (soit vers 11–12 ans). De toute évidence, ce chiffre doit être documenté, et la santé sexuelle à long terme de ces individus doit être suivie. »(WPATH Files, p. 118/241, forum interne, 31 janvier 2022)
Ce constat empirique rejoint les doutes exprimés plus largement dans la communauté scientifique, et rend d’autant plus surprenante l’absence totale de discussion, dans l’étude néerlandaise, sur les conditions biologiques minimales requises pour permettre une réponse orgasmique chez les hommes de naissance ayant subi un blocage pubertaire précoce.
Les auteurs semblent postuler, sans le dire, que le ressenti subjectif suffit à attester du fonctionnement sexuel, indépendamment de toute analyse clinique objective. Ce choix, lourd de conséquences, aurait mérité d’être discuté explicitement.
Une comparaison contestable avec la population générale
Les auteurs affirment que la satisfaction sexuelle dans leur cohorte (49 %) est comparable à celle de la population générale, citant un taux de 47 % (réf. 33) et des taux de 55 % et 45 % pour les hommes et les femmes sexuellement actifs (réf. 47).Or, ces comparaisons sont méthodologiquement invalides :
· la source [33] (Skevington et al., 2004) ne fournit pas de taux de satisfaction sexuelle de 47 %, mais une évaluation globale de la qualité de vie dans 23 pays via un score agrégé, sans détail par sexe ou activité sexuelle.
· la source [47] (Flynn et al., 2016) n’indique aucun pourcentage de personnes satisfaites sexuellement, mais des scores moyens standardisés (50,7 pour les hommes, 49,1 pour les femmes), obtenus à l’aide d’un instrument complètement différent (PROMIS v2.0).
Les auteurs néerlandais comparent donc des chiffres non équivalents, issus de méthodologies, d’échelles et de populations différentes, sans procéder à aucune analyse statistique. Le chiffre de 47 % semble avoir été extrapolé sans justification claire, ce qui rend cette comparaison infondée sur le plan scientifique.
Un déséquilibre structurel dans l’échantillon
Les femmes de naissance représentent 71 % de l’échantillon. Or, la testostérone (administrée aux femmes de naissance) a un effet reconnu sur l’augmentation du désir sexuel. À l’inverse, les hommes de naissance reçoivent des œstrogènes, qui peuvent diminuer la libido, et subissent une chirurgie plus lourde sur des structures peu développées. Ce déséquilibre est susceptible de masquer des différences importantes de satisfaction ou de fonctionnement sexuel. Un échantillon équilibré aurait peut-être révélé des résultats plus contrastés.
En simulant un échantillon avec 50 % de femmes et 50 % d’hommes de naissance, le taux global de dysfonction sexuelle avec détresse s’élèverait à 54 %. Ce chiffre reste élevé, et ne permet pas de conclure à une absence d’effet délétère du protocole médical.
Un recrutement non représentatif
L’étude repose sur le rappel de 145 anciens patients du centre. Seuls 70 ont accepté de répondre (48 %). Aucune information n’est donnée sur le profil ou les raisons de non-participation des autres. Or, il est plausible que les personnes ayant mal vécu leur transition, développé des complications sexuelles ou psychologiques, ou remis en question leur parcours, aient décliné la participation, voire soient injoignables. Le silence sur cette partie de la population constitue un biais de sélection majeur.
Les résultats rapportés pourraient donc surtout refléter les trajectoires de patients encore en contact avec l’équipe médicale, et susceptibles de se sentir en continuité avec leur parcours. À l’inverse, les personnes qui auraient pu vivre leur transition de manière plus difficile, avec du recul, des regrets ou des complications, pourraient être sous-représentées, voire absentes de l’échantillon. Or, ces vécus sont essentiels pour évaluer de façon équilibrée les bénéfices et les risques d’un tel protocole médical. Leur sous-représentation probable dans les données recueillies limite la portée des conclusions que l’on peut tirer de l’étude.
Des limites non discutées
Les auteurs reconnaissent certaines limites techniques (taille d’échantillon, biais de rappel), mais ne discutent pas :
du biais de sélection,
de l’absence de groupe contrôle,
du biais institutionnel,
de la validité des comparaisons avec la population générale,
ni de l’absence de prise en compte des trajectoires négatives.
Ces omissions sont significatives et orientent l’interprétation globale de l’étude dans un sens optimiste qui n’est pas justifié par les données.
Conclusion
Cette étude constitue une première tentative de documenter la sexualité adulte après suppression de puberté. Mais en raison de biais structurels importants (sélection des participants, absence de groupe contrôle, auto-questionnaires rétrospectifs, surreprésentation de certains profils), elle ne permet pas de conclure à l’innocuité du protocole sur la fonction sexuelle. La prudence reste de mise. Toute généralisation optimiste de ses résultats serait aujourd’hui scientifiquement infondée.
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