Spotlight de l'OPS - Regarder les soins d’affirmation de genre à travers le prisme de la justice
- La Petite Sirène
- 20 juin
- 5 min de lecture
Par Beryl Koener, membre du bureau de l'OPS, docteure en médecine, psychiatre infanto-juvénile et docteure en neuropsychopharmacologie
Regarder les soins d’affirmation de genre à travers le prisme de la justice
Jilles Smids
Pages 84-87 - The American Journal of Bioethics - Volume 25, 2025
Publié en ligne : 6 juin 2025
Contexte
Ce commentaire a pour but de répondre aux arguments formulé par Kirby dans son récent article, dans lequel il brandit les principes éthiques (autonomie, bienfaisance, justice, non-malfaisance) pour justifier l’application des soins d’affirmation du genre. Dans ce commentaire, Le Dr en philosophie et éthicien Jilles Smids analyse le principe éthique de justice au regard des données de l’evidence-based, corrigeant ainsi les affirmations non-basées sur les preuves du papier de Kirby[1].
Jilles SMIDS identifie deux problème dans l’analyse des soins d’affirmation du genre selon le principe éthique de justice réalisée par Kirby :
· Pour que les patients puissent prétendre au principe de justice dans les soins de santé, ceux-ci doivent reposer les preuves, autrement dit sur l’Evidence-based. Or, les preuves en faveur des soins d’affirmation du genre chez les mineurs sont très incertaines.
· Les arguments utilisés par Kirby - pour défendre l’utilisation routinière des soins d’affirmation du genre - en brandissant le principe éthique de justice, ne sont pas valides.
Contenu
A. Définition du principe de justice en soins de santé : La justice en matière de santé consiste à répondre adéquatement aux besoins réels en matière de santé par des soins de santé adéquats. Les théories sur la justice en matière de santé partent généralement du principe que les soins de santé améliorent effectivement la santé.
Þ Par conséquent, les sociétés n'ont pas l'obligation, au nom de la justice, de financer publiquement les soins médicaux liés d’affirmation de genre, lorsqu'il n'existe pas de preuves suffisantes que ces soins améliorent globalement la santé et le bien-être des jeunes atteints de GD.
Þ Au contraire, la justice en matière de santé implique que la société a l'obligation de protéger ces jeunes contre des traitements médicaux qui, tout bien considéré, sont susceptibles de leur nuire.
B. Kirby tente de démontrer que les soins d’affirmation du genre, dans la balance bénéfice/risque améliore le bien-être des jeunes. Au lieu de s'appuyer sur l'expertise de ceux qui ont déjà effectué de nombreuses analyses systématiques des données probantes, il fournit sa propre analyse narrative succincte.
Þ Si Kirby s'était appuyé sur les revues systématiques existantes qui tiennent compte des études auxquelles il fait référence, mais également pointent leurs limitations, sa conclusion générale aurait été très différente.
Analyse critique des arguments utilisés par Kirby pour justifier le principe éthique de justice
· Kirby indique que les opposants au modèle d’affirmation du genre (GAC) violent le principe éthique de justice, en appliquant des normes de preuves plus élevées pour les GAC que dans d’autres domaines de soin en pédiatrie : Kirby les accuse de promouvoir intentionnellement des informations erronées ou trompeuses sur la nature et les types de recherches qui peuvent et doivent éclairer les soins affirmant le genre destinés aux jeunes.
Þ Kirby pointe particulièrement Hillary Cass en disant que – comme d’autres opposants – ils ne soutiennent que les études randomisées contrôlées (RCT).
· Cass ne prétend pas que seuls les RCT pourraient fournir des preuves de qualité suffisante.
· Cass souligne l'importance d'un suivi à long terme et s'est clairement montrée déçue que les services de santé publique britanniques (NHS) destinés aux adultes aient refusé de coopérer à la vaste étude rétrospective portant sur « 9 000 jeunes ayant bénéficié [de services liés à l'identité de genre] », qui devait faire partie de son rapport.
· Par conséquent, contrairement à ce qu'affirme Kirby, ceux qui s'inquiètent de l'état actuel des preuves ne prétendent pas que seuls les RCT pourraient fournir des preuves suffisantes pour justifier le GAC. De nombreuses autres alternatives d’études ont été proposées :
o Davantage d'études prospectives de cohorte à long terme bien conçues, avec des échantillons plus importants (cf. Cheung et al. 2025 ; Clayton 2025 ; Gorin, Smids et Lantos 2025) [2], utilisant les nombreux dossiers de patients existants, tels que ceux de la clinique pionnière d'Amsterdam pour la recherche rétrospective (Abbruzzese, Levine et Mason 2023)[3].
o En envisageant de nouveaux modèles de recherche, en comparant des cohortes de patients dans des pays qui privilégient les interventions non médicales à ceux qui proposent systématiquement des bloqueurs de puberté (PB) et des hormones du sexe opposé comme traitements de première intention (Van Breukelen 2025)[4].
Toujours dans cette même lignée, où Kirby indique que les opposants au modèle d’affirmation du genre (GAC) violent le principe éthique de justice, en appliquant des normes de preuves plus élevées pour les GAC que dans d’autres domaines de soin en pédiatrie
Þ Kirby indique que les prescriptions off-label sont très fréquentes en population pédiatrique, sans pouvoir d’appuyer pour ce faire sur des RCT.
Þ Or, cet argument ne prend pas en compte le type de prescription off-label :
§ Dans la majorité des cas, il s’agit d’une transposition chez l’enfant d’une indication du traitement déjà bien établie chez l’adulte : Bien qu'il soit courant en pédiatrie d'utiliser des médicaments « hors AMM » parce qu'ils ont été testés pour une indication identique chez l'adulte mais pas chez l'enfant, l'utilisation d'un médicament pour une indication totalement nouvelle sans essais appropriés est tout à fait différente et ne peut être justifiée [5].
Þ Kirby s'appuie sur des données relatives à la prescription de PB pour une autre indication, à savoir la puberté précoce. Cependant, il néglige des différences cruciales.
§ La puberté précoce est diagnostiquée sur la base de variables biologiques mesurables et objective / contrairement à la dysphorie de genre dont – en plus - la permanence dans le temps est discutable.
§ La suppression de la puberté chez les enfants atteints de puberté précoce réduit les hormones sexuelles à des niveaux normaux pour l'âge, jusqu'à ce que la puberté naturelle suive son cours / Chez les enfants atteints de dysphorie de genre , les taux hormonaux normaux pour l'âge sont supprimés, ce qui interrompt le développement physique et psychosexuel approprié à l'âge.
Conclusions
Les sociétés ont le devoir, au nom de la justice, de répondre aux besoins en matière de santé des jeunes souffrant de dysphorie de genre en leur fournissant les meilleurs soins holistiques disponibles, fondés sur des données probantes. Compte tenu de l'état actuel des connaissances, les traitements d’affirmation du genre (GAC) ne répondent pas à ces critères. Par conséquent, restreindre l'accès à la GAC au contexte de la recherche n'est pas seulement une non-violation de la justice en matière de santé, mais est au contraire exigé par celle-ci.
[1] Kirby, J. 2025. A multi-lens ethics analysis of gender-affirming care for youth with implications for practice and policy. The American Journal of Bioethics 25 (6):57–72. doi:
10.1080/15265161.2025.2497983.
[2] · Cheung, C. R., E. Abbruzzese, E. Lockhart, I. K. Maconochie, and C. C. Kingdon. 2025. Gender medicine and the cass review: Why medicine and the law make poor bedfel- lows. Archives of Disease in Childhood 110 (4):251–5. doi:10.1136/archdischild-2024-327994.
· Clayton, A. 2025. Gender-affirming hormone treatment for young people with gender dysphoria: Where do we go from here? Archives of Disease in Childhood. Advance online publi- cation. doi:10.1136/archdischild-2025-328478.
· Gorin, M., J. Smids, and J. Lantos. 2025. Toward Evidence-based and ethical pediatric gender medicine. JAMA 333 (10):841–2. doi:10.1001/jama.2024.28203.
[3] Abbruzzese, E., S. B. Levine, and J. W. Mason. 2023. The myth of “Reliable Research” in pediatric gender medicine: A critical evaluation of the Dutch studies—and research that has followed. Journal of Sex & Marital Therapy 49 (6):673–99. doi:10.1080/0092623X.2022.2150346.
[4] Van Breukelen, G. J. P. 2025. How to improve research methodology in gender care: A non-binary choice. European Journal of Developmental Psychology. Advance online publication. doi:10.1080/17405629.2025.2485221.
[5] Cheung, C. R., E. Abbruzzese, E. Lockhart, I. K. Maconochie, and C. C. Kingdon. 2025. Gender medicine and the cass review: Why medicine and the law make poor bedfel- lows. Archives of Disease in Childhood 110 (4):251–5. doi:10.1136/archdischild-2024-327994.
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