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Les « soins médicaux affirmant le genre » correspondent-ils à l'un de ces cas ?

  • Photo du rédacteur: La Petite Sirène
    La Petite Sirène
  • 15 oct.
  • 17 min de lecture

Is "Gender-Affirming Medical Care" Any of These?


Définir l’affirmation, la médecine et le soin dans leur contexte

Encadré de l’article


Publié le : 24 septembre 2025


Contenu principal de l’article

Christian O’Connell, JD

Trad. Fr.


Résumé


Cet article examine l’expression controversée « soins médicaux d’affirmation du genre », désormais courante dans la législation, les litiges et les directives cliniques. Il analyse les trois composantes du terme — affirmation, médecine et soin — et interroge ce que chacune implique dans la pratique clinique ordinaire, en s’appuyant sur des cadres de la philosophie de la médecine classiques et contemporains.


L’article soutient que cette expression composite tend souvent à obscurcir plus qu’à clarifier : l’« affirmation » y est comprise comme la réalisation d’une volonté plutôt que comme la reconnaissance d’une vérité ; le qualificatif « médical » est invoqué dans des cas où les interventions compromettent plutôt qu’elles ne restaurent la fonction corporelle ; et le « soin » est réduit à la conformité au consentement plutôt qu’à la bienfaisance fiduciaire.


L’analyse est conceptuelle, non prescriptive. Son objectif est de décomposer un ensemble rhétoriquement puissant en actes cliniques concrets, en obligations de suivi et en bénéfices revendiqués, afin que les débats éthiques et politiques puissent se poursuivre sur des bases plus claires. En confrontant l’expression à chacune de ses composantes, l’article montre qu’elle ne satisfait souvent pas les seuils minimaux de chacune et appelle à une plus grande précision dans le langage médical.


Introduction


La législation, les litiges et les lignes directrices professionnelles reposent de plus en plus sur une terminologie médicale contestée, notamment celle communément appelée « soins médicaux d’affirmation du genre », une expression désormais présente dans les lois des États, les décisions de justice et les déclarations de politique des principales associations médicales. Pourtant, elle porte une charge qui dépasse la simple description. Le terme renferme des présupposés concernant la vérité, la médecine et la bienfaisance, qui influencent le débat dès le départ.[1] Avant que le droit et la politique puissent véritablement examiner le bien-fondé de telles interventions, la terminologie elle-même mérite une analyse, tant pour ses implications juridiques que pour la force persuasive qu’elle exerce dans le débat public. Ce point est illustré par United States v. Skrmetti (2025), dans lequel la Cour suprême des États-Unis a examiné les restrictions étatiques sur les interventions de transition de genre pédiatriques.[2] Bien que cet article n’aborde pas les arguments juridiques de cette affaire, la décision montre comment l’expression « soins médicaux d’affirmation du genre » (et des formulations similaires) est devenue centrale non seulement dans le discours professionnel, mais aussi dans l’interprétation constitutionnelle.


Au-delà de sa portée juridique, cette expression structure désormais le discours public et professionnel sur les interventions médicales. Elle est rhétoriquement puissante : affirmation suggère la véracité, médical évoque la légitimité scientifique, et soin renvoie à la bienveillance. Chacun de ces termes porte un poids de signification qui peut — et doit — être examiné. Il ne s’agit pas d’un simple exercice sémantique : en bioéthique, des définitions précises sont essentielles à la cohérence des normes, à l’équité des traitements et à l’élaboration de politiques éclairées. Sans cela, les politiques et les standards cliniques dérivent, au détriment du patient.


Les interventions désignées par cette expression vont des bloqueurs de puberté et hormones croisées aux chirurgies qui retirent des organes sains ou construisent une nouvelle anatomie.[3] Même leurs conséquences les plus indiscutables sont souvent peu connues en dehors des milieux cliniques. Les traitements hormonaux à long terme peuvent altérer la fertilité[4] et nécessitent un suivi médical continu ; après ablation des gonades, une substitution hormonale doit être poursuivie indéfiniment pour éviter les effets néfastes liés à l’hypogonadisme.[5] Les chirurgies sont irréversibles et suppriment définitivement les capacités des organes retirés.[6] Dans de nombreux cas, ces interventions altèrent ou désactivent des fonctions corporelles normales et engagent le patient dans un suivi médical à long terme — souvent à vie.[7]


L’analyse traite chacune des composantes du terme afin de montrer qu’elles ne satisfont pas les critères des principales approches contemporaines orientées vers la pratique en philosophie de la médecine, ni ceux de l’approche philosophique classique plus globale, qui conçoit la personne comme une unité intégrée de corps et d’âme. Bien que les enjeux éthiques les plus évidents concernent les soins pédiatriques (notamment les questions de consentement), les seuils conceptuels implicites dans l’expression ne sont souvent pas atteints, même pour les adultes. Les trois composantes — affirmation, médecine et soin — se recoupent dans la pratique, mais cet article les aborde séparément, afin de tester chacune selon ses propres critères avant d’examiner leur interdépendance.


Est-ce vraiment une “affirmation de genre” ?


« Affirmer » quelque chose consiste à le reconnaître et à le confirmer comme vrai. En contexte clinique, l’affirmation peut prendre la forme de réassurance, de validation ou de soutien, mais sa structure fondamentale demeure la même : affirmer, c’est s’aligner sur la réalité, non s’y opposer. Si un patient souffrant d’une grave malnutrition protéino-calorique affirme : « Je suis en surpoids », un traitement qui confirmerait cette déclaration ne serait pas un acte de vérité, mais une collusion avec l’erreur.


Dans la tradition philosophico-anthropologique classique, la personne humaine est comprise comme une unité psychophysique intégrée — souvent décrite comme une unité du corps et de l’âme —, et le sexe n’y est pas un attribut secondaire, mais une détermination fondamentale de cette unité. Affirmer quelqu’un comme étant du sexe opposé revient à nier cette intégrité. Les approches réalistes contemporaines soulignent également ce point[8], en soutenant que le genre est la forme vécue d’un corps sexué : la réalité sociale d’un corps déjà déterminé comme mâle ou femelle, et non une construction psychologique flottante détachable de l’organisme auquel il appartient[9].


Une analyse récente observe que notre imagination technologique moderne modifie silencieusement le sens même du mot affirmation. Autrefois, affirmer signifiait accueillir le monde et le corps tels qu’ils sont donnés. Désormais, ce donné est traité comme une matière brute de la volonté, à remodeler jusqu’à ce qu’il corresponde au désir[10]. Selon cette logique, on affirme non plus en reconnaissant ce qui est, mais en conformant la réalité à ce que l’on souhaite. Le mot demeure, mais son sens s’inverse : ce qui désignait autrefois la reconnaissance de la vérité en vient à désigner la réalisation de la volonté. Cette inversion se manifeste déjà dans la littérature de développement personnel et de motivation.


Même en laissant de côté ces engagements philosophiques, l’expression « affirmation de genre » échoue à l’analyse conceptuelle minimale et au regard du langage clinique ordinaire. Affirmer, c’est traiter son objet comme vrai. En médecine, lorsqu’une affirmation cliniquement vérifiable est en jeu, la justification repose normalement sur des tests, examens ou constatations indépendants du seul témoignage du patient. En matière d’identité de genre, les critères diagnostiques reposent sur un ressenti d’incongruence déclaré et sur la détresse associée dans le temps, plutôt que sur des tests objectifs ou des biomarqueurs[11]. Or la médecine ne peut se fonder uniquement sur le déclaratif, lorsque la réalité même est en question : « J’ai une fracture » n’achève pas l’examen, elle le commence.


Le même constat apparaît lorsque l’on passe des mots aux actes. Pratiquer une vaginoplastie sur un corps masculin sain ne le rend pas plus proche d’un corps féminin sain, bien qu’après l’opération, les deux partagent superficiellement l’absence de pénis et de testicules. En réalité, l’intervention désactive simplement les fonctions masculines ; elle ne confère ni anatomie, ni physiologie, ni fonctions reproductives féminines spécifiques[12]. La modification est purement morphologique. Selon les approches fondées sur la fonction, de telles interventions ne sont pas seulement non affirmatives, mais positivement pathologiques.


Contre-arguments


Les partisans peuvent affirmer que le terme affirmation permet de réduire la stigmatisation et de renforcer l’alliance thérapeutique ; un langage respectueux compte effectivement. Toutefois, comme indiqué plus haut, dans la pratique clinique, affirmer désigne ordinairement la reconnaissance de la vérité, et non la présomption de justesse. Le respect et l’alliance thérapeutique sont compatibles avec l’évaluation ; ils n’exigent pas de présumer la véracité d’affirmations contestées. Si affirmer est employé uniquement pour décrire une attitude interpersonnelle, il se distingue alors de la question clinique ; en revanche, dans les contextes de politique et de protocoles, affirmation de genre fonctionne souvent comme une étiquette orientée vers un résultat, qui tend à faire des interventions conformes à l’identité le choix par défaut, bien que l’accès soit filtré par des critères d’éligibilité.


Certains ont cité des études neurobiologiques pour soutenir que l’identité transgenre repose sur une base biologique, affirmant que certains individus transgenres auraient, en moyenne, des structures cérébrales plus proches de celles du sexe opposé[13]. Mais même en laissant de côté les limites méthodologiques de ces études[14], leurs résultats portent sur des moyennes de groupe, non sur des marqueurs diagnostiques. Ils sont tout aussi compatibles avec une conclusion plus simple : les cerveaux masculins et féminins couvrent chacun une large gamme de variations, et certains individus se situent vers l’une des extrémités sans cesser d’appartenir à leur sexe biologique. Étant donné que les distributions se recouvrent largement, ces différences moyennes ne justifient pas une classification individuelle, ni l’idée que des cerveaux pourraient être « échangés » entre des corps. Elles montrent simplement que tous les membres d’un même sexe ne sont pas identiques. Même si de telles corrélations étaient constantes, elles ne démontreraient pas que le genre puisse être défini indépendamment du corps sexué[15].


Un autre contre-argument avance que, dans l’usage contemporain, le mot genre désigne simplement l’identité ; affirmer le genre reviendrait donc à affirmer l’auto-identification[16]. Mais il s’agit là d’un changement d’usage, non d’une réfutation. Si le genre est défini de manière à exclure le corps, alors, bien sûr, l’affirmation n’a plus besoin d’en tenir compte — mais seulement au prix d’abandonner la référence incarnée du terme. Ce déplacement est sémantique, réglant le différend par redéfinition plutôt que par argumentation.


Est-ce “médical” ?


Qualifier quelque chose de médical ne consiste pas simplement à constater que des cliniciens le pratiquent ou qu’il fait appel à des techniques chirurgicales ou pharmaceutiques. Dans les conceptions classiques comme modernes, la médecine est l’art et la science de restaurer ou de préserver la santé. De Hippocrate à Thomas d’Aquin[17], puis jusqu’aux philosophes contemporains de la médecine, la pratique médicale vise à diagnostiquer, prévenir et traiter les maladies ou les blessures afin de maintenir ou rétablir le bon fonctionnement du corps. Même les approches se disant « neutres en valeur » reposent sur une certaine idée de la santé comme bien objectif, auquel toute intervention doit pouvoir être rapportée[18].


Une conception biostatistique influente définit la santé en fonction du bon fonctionnement des parties d’un organisme, par rapport aux normes typiques de l’espèce[19]. La maladie, dans ce cadre, est un écart mesurable à ces normes, qui réduit les chances de survie ou de reproduction. Selon ce point de vue, des interventions qui endommagent ou retirent des organes en bon état de fonctionnement — par exemple la stérilisation des gonades ou l’amputation des seins sans cause pathologique — produisent de la maladie.


À l’inverse, une approche normativiste largement discutée définit la santé comme la capacité d’atteindre ses objectifs vitaux dans des conditions normales[20]. Le désir d’occuper le rôle social du sexe opposé peut se comprendre comme un phénomène psychologique. Cependant, l’absence des caractéristiques corporelles spécifiques à ce rôle ne constitue pas une pathologie ; et cette approche normative n’exige pas que la médecine poursuive tout objectif déclaré qui contredit les capacités réelles de l’organisme[21].


La médecine englobe à juste titre non seulement les buts curatifs et préventifs, mais aussi la palliation et le soulagement de la souffrance. L’analgésie, les soins palliatifs et les interventions psychiatriques font partie de sa vocation, même lorsqu’elles ne rétablissent pas des fonctions perdues. Mais même ici, des critères de proportionnalité et de preuve s’appliquent : plus une intervention est irréversible et entraîne une perte de fonctions de base, plus la justification de ses bénéfices durables doit être solide et démontrée.


Les procédures de transition de genre ne visent généralement ni à guérir ni à prévenir une maladie. Elles modifient des corps sains pour les rendre conformes à une identité déclarée, souvent en désactivant ou en retirant des organes normalement fonctionnels. La perte de fertilité, de fonction sexuelle et d’autres capacités en fait souvent partie intégrante du résultat recherché, et non un simple effet secondaire[22]. Cela diffère des interventions médicales admises, où l’altération d’une fonction est un compromis nécessaire pour traiter une pathologie. Compte tenu de leurs objectifs et de leurs effets, il est donc douteux que de telles procédures puissent être considérées comme médicales au sens ordinaire. En médecine, on évite habituellement de modifier ou de retirer des organes sains dans des troubles comme la dysmorphie corporelle ou le trouble de l’intégrité corporelle, où le problème ne réside pas dans l’organe, mais dans la perception ou l’identification. Le but thérapeutique est alors de réconcilier la conscience de soi avec le corps, non de rendre le corps conforme à l’image altérée. Il ne s’agit pas d’assimiler la dysphorie de genre à ces troubles, mais de souligner que, dans tous ces cas, la structure corporelle n’est pas malade, et que le désaccord se situe entre le corps et le concept de soi. Historiquement, la médecine a cherché à résoudre ces discordances en travaillant sur le concept de soi, non en altérant une anatomie saine.


Ces préoccupations philosophiques trouvent un écho pratique dans des revues indépendantes récentes des données scientifiques. Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) du Royaume-Uni a examiné les bloqueurs de puberté et les hormones croisées[23], et la Cass Review, reprenant et approfondissant ces travaux, a évalué les services d’identité de genre pour les enfants et les adolescents[24]. Toutes ont conclu que la base de preuves pour les interventions de transition de genre pédiatriques est de très faible qualité et insuffisante pour établir leur sécurité ou leur bénéfice à long terme[25].


Dans ce contexte, une procédure ne devient pas médicale en raison de qui la pratique ou de la compétence technique mise en œuvre, mais par son objectif et son résultat. Lorsque l’objectif n’est pas de restaurer une fonction saine et que le résultat en compromet le fonctionnement, l’appellation de “médicale” ne tient pas, et ces pratiques sortent du champ de ce que la médecine, au sens ordinaire, est censée englober.


Contre-arguments


Certains considèrent que la reconnaissance et l’adoption du terme soins médicaux d’affirmation du genre par des associations professionnelles suffisent à trancher le débat. Une fois que de grands organismes utilisent cette appellation, la classification des interventions concernées comme médicales semble acquise. Pour les défenseurs de ces pratiques, de tels soutiens institutionnels peuvent sembler renforcer de manière décisive les affirmations relatives à la sécurité et aux bénéfices à long terme.

Cependant, la valeur de ces appels à l’autorité dépend de l’indépendance, de la représentativité et de la transparence méthodologique de ces instances. Les déclarations de politique, souvent rédigées par de petits comités et exposées à des pressions militantes, ne répondent pas toujours à ces critères. Selon les standards habituels, elles ont donc un poids probant moindre que les revues critiques qui précisent leurs méthodes de recherche, leurs critères d’inclusion et leur évaluation de la solidité des preuves[26]. Les déclarations peuvent uniformiser le vocabulaire, mais les étiquettes ne suffisent pas à légitimer un terme. De même, même lorsqu’un consensus existe, il peut découler de l’évidence scientifique, mais il n’en augmente pas la qualité.


Certains invoquent la chirurgie esthétique pour montrer que la médecine accepte déjà des modifications non réparatrices. Pourtant, la chirurgie esthétique occupe déjà une position ambiguë dans le champ médical. Une partie est reconstructive, mais beaucoup sont ornementales, tolérées davantage comme une concession culturelle que comme une composante centrale de l’art médical. De plus, la chirurgie esthétique n’enlève généralement pas des organes reproducteurs fonctionnels, ni n’impose une dépendance médicale à vie. Même lorsqu’elle sacrifie des tissus sains, la perte est acceptée au nom de la préservation de la santé.

La chirurgie de transition de genre diffère sur ce point : elle traite en quelque sorte le sacrifice lui-même (fertilité, fonction sexuelle, organes intacts) comme le remède. La médecine peut admettre une perte au service de la santé, mais elle ne peut redéfinir la perte comme une guérison. Si la chirurgie esthétique se situe à la marge de la médecine, les procédures de transition se situent bien au-delà. Dans de tels cas, l’impératif hippocratique de ne pas nuire demeure une frontière éthique essentielle, protégeant le bien de la personne entière dans l’intégrité du corps et de l’être[27]. Le propos n’est pas de refuser les soins, mais de garantir que les interventions favorisent réellement la santé et le bien-être du patient, selon les mêmes standards que la médecine applique à toutes les autres affections.


D’autres peuvent soutenir que vivre son corps sexué comme incongru peut provoquer de la dépression ou de l’anxiété, et que soulager la souffrance relève bien d’un objectif médical ; ils peuvent aussi faire valoir que le diagnostic psychiatrique repose en partie sur le récit du patient. Mais le diagnostic n’implique pas un traitement proportionnel de n’importe quelle intensité. Une détresse déclarée peut justifier un accompagnement psychosocial ou psychiatrique. Des familles, des écoles et des cliniques bienveillantes peuvent atténuer cette souffrance. Cela diffère toutefois de l’affirmation selon laquelle les interventions de transition amélioreraient des résultats objectifs et durables ; et, en l’absence de preuves solides de bénéfices à long terme, une telle détresse constitue une justification faible pour des procédures irréversibles qui altèrent des fonctions saines.

Les inquiétudes concernant l’expansion diagnostique et la médicalisation ne font que renforcer la nécessité de ne pas laisser un simple label servir de justification.


Est-ce du “soin” ?


Même si les interventions de transition de genre pouvaient être considérées comme médicales, une autre question demeure : satisfont-elles aux obligations morales qui font de la médecine un acte de soin ? La médecine, dans sa meilleure expression, n’est pas seulement un service technique, mais une relation fiduciaire orientée vers le bien du patient. En éthique clinique, le soin implique la compétence technique, la fidélité au bien-être du patient, la prudence face à l’incertitude et l’engagement à éviter le tort.


Le devoir de soin[28] comprend également la proportionnalité : l’ampleur et l’irréversibilité d’une intervention doivent entretenir un rapport raisonnable avec la certitude et l’importance du bénéfice attendu. Lorsque des interventions retirent des organes sains, altèrent la fertilité ou entraînent des charges médicales à vie, le seuil de proportionnalité s’élève. Dans d’autres domaines médicaux, les interventions irréversibles et profondément transformatrices sont réservées aux affections constituant une menace grave et actuelle pour la vie ou la santé à long terme, et étayées par des preuves solides de bénéfice[29]. En cas d’incertitude élevée, le principe du moindre risque prévaut : les options irréversibles ne sont envisagées qu’en dernier recours, après les moyens les plus restrictifs.


Dans la tradition classique, le soin est une orientation morale vers le bien du patient, et non la simple exécution d’une procédure choisie. La philosophie contemporaine de la médecine conserve cette perspective, notamment dans son accent sur la bienfaisance au sein d’une relation de type contractuel[30] et dans sa conception de la médecine comme une communauté morale[31]. Ces approches refusent de réduire le soin à une simple prestation technique ou à une exécution du choix individuel.


Un autre aspect du soin consiste à se protéger contre les pressions culturelles passagères ou les idéologies institutionnelles qui peuvent ne pas correspondre au bien du patient. Le rôle fiduciaire oblige le clinicien à distinguer les intérêts du patient de ceux de tiers et à ne pas confondre l’affirmation d’une identité déclarée avec la poursuite du véritable bien du patient. Dans le cas des interventions de transition de genre, cela implique de reconnaître que des narratifs culturels changeants, des influences de pairs ou des engagements institutionnels — qui ne reflètent pas nécessairement des bénéfices cliniques à long terme — peuvent influencer la demande. Les hausse récentes des taux d’orientation et les changements démographiques des patients dans plusieurs pays soulignent ce phénomène[32]. L’accord avec une auto-description ne justifie pas, en soi, des altérations irréversibles d’une anatomie intacte.


Fournir un soin, ce n’est pas simplement répondre à une demande ou valider une croyance, mais agir d’une manière proportionnée au bénéfice global pour la vie du patient. Lorsque les preuves sont faibles, que les risques sont élevés et que des alternatives existent, intervenir relève davantage de la prestation de service que du soin au sens éthique profond.


Contre-arguments


Certains soutiennent que le soin consiste à respecter l’autonomie du patient et que le fait de répondre à ses demandes constitue, en soi, un acte de soin. Le consentement éclairé est certes nécessaire, mais non suffisant : l’accord du patient ne transforme pas automatiquement une intervention en acte de soin. Un consentement valide suppose la compréhension des bénéfices et des risques, des principales incertitudes et des alternatives disponibles, y compris les options non médicales. Dans le contexte des procédures de transition de genre, en particulier chez les mineurs, ces conditions sont souvent contestées, et des revues indépendantes ont jugé la base de preuves comme étant de faible certitude[33]. Lorsque les fondements scientifiques sont incertains, agir n’est pas automatiquement un acte de soin simplement parce que le patient — ou son tuteur — y consent.


Réduire l’essence du soin à la conformité aux souhaits du patient, c’est traiter le soin comme une transaction commerciale, où l’acte est réputé accompli dès que la demande est satisfaite, sans considération pour le coût à long terme pour celui qui la formule. L’autonomie, bien qu’essentielle, n’épuise pas l’éthique clinique ; elle est limitée par les principes de non-malfaisance, de bienfaisance et par les normes professionnelles. Un patient peut demander une intervention qui n’est pas dans son intérêt, et les cliniciens n’ont pas le devoir éthique d’y répondre simplement parce qu’elle est sollicitée. Refuser une intervention prévisiblement dommageable peut, au contraire, constituer un acte de respect de l’autonomie bien comprise — celle de la personne entière sur la durée d’une vie, et non le simple choix d’un instant. Le respect de l’autonomie comprend également la protection des patients contre des décisions qui dépassent les limites des preuves disponibles concernant les risques. Ce n’est ni un refus de soin, ni du paternalisme, mais une fidélité au bien du patient à long terme, en situation d’incertitude.


D’autres invoquent les mesures de satisfaction des patients, notant que certaines personnes déclarent un soulagement ou une joie après une intervention. Toutefois, la satisfaction n’est pas synonyme de bien-être ; elle ne suffit pas à démontrer que l’intervention était dans l’intérêt durable du patient. Les résultats rapportés par les patients et leur expérience vécue sont importants pour le suivi et la compréhension du bien-être subjectif, mais ils ne remplacent pas les critères de preuve ni le principe de proportionnalité lorsque les risques sont importants ou les pertes irréversibles. Dans d’autres domaines médicaux, la satisfaction est pondérée par les résultats objectifs et les dommages prévisibles.


Conclusion


L’expression soins médicaux d’affirmation du genre regroupe trois affirmations à la fois : que les interventions affirment ce qui est vrai, qu’elles sont médicales dans leur but et leur effet, et qu’elles constituent un soin. Lorsque ces affirmations ne peuvent être démontrées, le terme obscurcit plus qu’il n’éclaire et risque d’introduire de la confusion dans la prise de décision clinique.


Après avoir mis cette expression à l’épreuve de ses propres termes, l’incohérence qui en ressort n’est pas seulement sémantique, mais pratique. En médecine, le langage fait partie de la pratique : les mots orientent ce que les cliniciens recherchent et la manière dont les patients se comprennent eux-mêmes. Ils restreignent aussi les actions perçues comme raisonnables ou obligatoires. En combinant les trois termes, on tend à protéger chaque élément du regard critique, ce qui aboutit à un rétrécissement de l’imagination morale et clinique précisément là où la médecine a le plus besoin d’ouverture : dans des situations de souffrance personnelle profonde, de preuves contestées et d’interventions à fort enjeu.


Ces questions relèvent du langage, de l’éthique et des finalités de la médecine. Le besoin plus fondamental est de retrouver l’habitude de décrire les actes cliniques avec vérité, en disant ce qu’ils font réellement au corps et à la vie, avant de juger s’ils sont sages ou bons. Il ne s’agit pas d’un appel à la pureté linguistique ni d’un diagnostic moralisateur, mais d’un appel à la précision, sans laquelle ni la confiance ni le soin ne peuvent subsister.


Dans la tradition classique, l’autorité de la médecine ne provenait pas de la satisfaction des désirs, mais de son orientation vers le bien du patient en tant qu’être humain entier — un principe qui subsiste dans la philosophie contemporaine de la médecine, selon laquelle toute intervention doit répondre à la vérité et au bien : la vérité dans la description, et le bien dans le jugement. Un langage qui échappe à cette double exigence n’est pas seulement en rupture avec la tradition : il échoue envers le patient.


Il devrait exister un terrain d’entente suffisant pour affirmer que la médecine doit nommer ses actes avec exactitude, les justifier par leurs fins, et donner au soin la dignité d’un sens plus profond que la simple complaisance. Là où un tel accord est respecté, les débats sur ce qui constitue ou non une affirmation de genre deviennent moins une question d’identité politique et davantage une question de vérité clinique et morale — un changement qui ne peut qu’aider les patients et les familles les plus concernés par l’enjeu.


L’argument présenté ici s’est limité à une analyse conceptuelle et philosophique de l’expression soins médicaux d’affirmation du genre. Cependant, cette analyse s’applique au-delà de ce cas précis. Tout terme composite, prétendument médical, qui associe des affirmations empiriques à des jugements moraux controversés devrait être décomposé et examiné de cette manière, afin que le langage ne vienne pas entraver la réflexion clinique et éthique. Lorsque les mots portent ce qui n’est pas vrai, le praticien comme le patient en subissent les conséquences.

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