1er novembre 2024
Je suis à Berlin aujourd'hui, pour participer à la manifestation organisée devant le Bundestag contre la nouvelle Loi sur l'autodésignation du sexe qui vient d'entrer en vigueur en Allemagne. Partout dans le monde, des femmes manifestent devant les ambassades allemandes ; j'ai accepté l'invitation des organisatrices d'Allemagne à venir leur témoigner ma solidarité.
Elles ont eu la gentillesse de traduire mon discours en allemand et l'ont distribué aux assistantes.
Voici mon texte (approximatif) tel que prononcé.
George Orwell est censé avoir dit un jour: « À une époque de tromperie, dire la vérité est un acte révolutionnaire ».
Nous vivons à une époque de tromperie. La tromperie dont nous parlons aujourd'hui est celle de l'autodésignation du sexe (Sex Self-ID). C'est le mensonge selon lequel ce qui fait des gens des hommes ou des femmes, des garçons ou des filles, des mâles ou des femelles, est ce que ces personnes prétendent à propos d'elles-mêmes, sur la base de leurs idées et de leurs sentiments et non de la réalité de leurs corps sexués immuables.
Réfléchissez à ce que cela signifierait si c'était vrai. Cela signifierait que les humains sont en quelque sorte fondamentalement différents, non seulement des autres primates, non seulement des autres mammifères, mais aussi de tous les autres êtres vivants. Il s'agit d'une nouvelle version laïque du créationnisme. C'est la prétention que notre espèce ne fait pas partie de la nature, mais qu'elle se situe au-dessus d'elle, capable de réécrire la réalité biologique et les règles de la vie par la seule force de sa volonté, au lieu d'y être soumise comme toutes les autres espèces évoluées.
Mais être ce type spécifique d'animal n'est pas quelque chose d'insignifiant ! Nous sommes des êtres humains : avec tout ce que cela implique de bon et de mauvais, de forces et de limites, tout ce qui est spécifique à notre espèce et tout ce que nous partageons avec d'autres formes de vie. Comme les autres animaux, nous sommes conçus, nous naissons et nous grandissons. Nous concevons et nourrissons de nouvelles vies, selon un processus fondamentalement et irréductiblement différent pour les hommes et les femmes. Puis nous vieillissons et nous mourons.
Mais nous sommes également différents de tous les autres animaux - nous ne sommes pas séparés d'eux, mais avons notre spécificité. Nous sommes physiquement faibles et vivons des vies imaginaires complexes. Nous sommes souvent troublés par le sentiment d'être des « fantômes dans une machine », expression frappante utilisée par le philosophe britannique Gilbert Ryle pour décrire le dualisme corps-esprit formulé par René Descartes. Ou, pour reprendre un vers de l'un des poèmes les plus célèbres de l'auteur irlandais W.B. Yeats, nous sommes des âmes « attachées à un animal en train de mourir ».
Dans le monde moderne désincarné, avec des machines pour faire notre travail et nous permettre de communiquer en tant que visages bidimensionnels sur un écran et que voix sortant des haut-parleurs de nos ordinateurs, des machines qui nous permettent de nous représenter sous forme d'images de synthèse, d'avatars de jeux vidéo et de profils de médias sociaux, nous penchons vers la notion déjà dangereusement attrayante que notre véritable moi est quelque chose de séparé de notre corps, plutôt que d'accepter que notre corps est indivisiblement nous-mêmes.
Cette illusion cause toutes sortes de torts. À notre santé physique, car nous bougeons trop peu et nous nous désengageons du monde matériel. À notre santé mentale, car nous nous retirons dans des espaces virtuels, nous nous concentrons sur l'intérieur plutôt que sur l'extérieur, nous ruminons nos identités plutôt que de chercher à établir des liens avec les autres, et nous imaginons qu'une bonne vie se trouve dans la définition de soi plutôt que dans le projet de faire du bon travail et de venir en aide aux autres.
C'est chez nos enfants que ces méfaits se font le plus sentir, dans la crise de santé mentale qui sévit dans les écoles, car on encourage les jeunes à se considérer comme fragiles et à redéfinir chaque défi comme un traumatisme. On les pousse à considérer leur croissance comme une revendication identitaire spécifique et souvent idiosyncrasique - pas seulement pour ce qui est de leur sexe, mais aussi à propos de conditions de santé physique et mentale, souvent auto-diagnostiquées - et à traiter le manque d'intérêt des autres pour de telles spécificités comme de la « haine ». On les incite à considérer la puberté comme évitable, plutôt que comme l'un des deux grands sprints de développement de la vie, le second après la naissance.
Votre loi d'autodésignation du sexe est motivée par toutes ces idées toxiques et pernicieuses. Et comme pour toutes les idées qui vont à l'encontre de la réalité matérielle, ce sont les personnes les moins privilégiées qui en pâtissent le plus.
Cette loi nuit aux femmes. Si les hommes peuvent se déclarer femmes, les femmes perdent le droit de tracer des frontières qui excluent les hommes.
Quand les femmes ne peuvent plus dire non à des hommes, nous perdons nos droits. Une femme qui a été violée ne peut pas insister pour que seule une autre femme puisse effectuer un examen médico-légal sur le corps qui a été violé par un homme. Elle ne peut pas faire appel à des espaces réservés aux femmes pour se rétablir et guérir. Elle ne peut pas créer d'organisations réservées aux femmes où elle peut parler d'expériences que seules les femmes vivent. Elle ne peut pas exclure les hommes qui s'immiscent dans les espaces quotidiens réservés aux femmes.
Bien sûr, ce ne sont pas tous les hommes qui commettent des violences et des crimes sexuels à l'encontre des femmes, mais ce sont surtout des hommes. Nous ne pouvons pas déterminer quels hommes sont fiables, mais nous pouvons être à peu près certaines que ceux qui violent de telles limites, les hommes qui insistent sur le fait qu'une identité particulière leur donne le droit d'outrepasser nos limites et d'ignorer notre non, sont plus susceptibles que l'homme moyen de nous causer du tort, et non pas moins.
Les hommes fiables restent à l'écart, ce qui permet de distinguer les mauvais. Si les hommes qui prétendent être des femmes comprenaient vraiment ce que c'est que d'être une femme, ils ne s'imposeraient pas à nous de la sorte.
L'idée destructrice de l'autodésignation du sexe fait également du tort aux enfants. Ils croient ce que les adultes leur disent : les idées ont des conséquences. Si nous leur disons que leur corps n'a pas d'importance, qu'ils sont des créatures désincarnées transportées comme des automates dans le monde matériel dans des corps qu'ils sont encouragés à considérer comme des combinaisons de viande personnalisables, qu'ils peuvent choisir de ne pas grandir, que d'autres personnes doivent faire semblant de les voir comme étant du sexe qu'ils ne sont pas, et que si d'autres personnes refusent de faire semblant, alors elles doivent être haineuses et vouloir la mort de ces enfants - eh bien, nous communiquons à nos enfants un grave handicap mental.
Nous créons de la détresse et de l'inconfort corporels chez des enfants qui, autrement, auraient négocié les remous de l'adolescence et seraient devenus des adultes heureux, sains et entiers. Nous mettons sur la voie de la détresse sexuelle un nombre incalculable d'enfants, dont certains prendront des décisions irréversibles qui nuiront à leur santé tout au long de leur vie.
Certains prendront des bloqueurs de puberté, dont l'on sait de plus en plus clairement qu'ils nuisent au développement du cerveau et à la solidité des os, et qu'ils freinent le développement des organes génitaux des jeunes. Nous savons que ces médicaments puissants et non testés bloquent le processus par lequel les enfants en viennent à comprendre leur sexualité adulte naissante. Nous savons qu'ils enferment l'enfant dans une détresse sexuelle, au lieu de lui laisser le temps et la maturité de la résoudre. Ils rendent presque certaine l'évolution de l'enfant vers des hormones du sexe opposé, qui provoquent des changements physiques permanents des caractéristiques sexuelles secondaires - barbe et voix grave pour les filles, poitrine pour les garçons. Enfin, ces médicaments mettent les enfants sur la voie de chirurgies du opposé à l'orée de l'âge adulte.
Certains de ces enfants sont des garçons qui se sont retirés de la vie réelle pour se réfugier dans des espaces en ligne, s'identifiant à des avatars dont l'on peut changer les caractéristiques sexuelles en cliquant sur un bouton. Certains fuient la masculinité, dont on leur a dit qu'elle était irrémédiablement toxique. Certains craignent de devenir des hommes, un projet qui semble si ardu lorsque les marchés du logement et de l'emploi sont en panne. Certains ont été attirés dans un monde de fantasmes pervers par la pornographie violente et addictive qui est si facilement accessible sur leurs téléphones portables.
D'autres sont des filles qui savent ce que regardent leurs camarades de classe masculins et qui rejettent la représentation de la sexualité féminine en tant qu'objectifiante et dégradante. L'esthétique pornographique - faux cils, faux bronzage, lèvres pulpeuses, ongles en acrylique - est aujourd'hui monnaie courante, et même les jeunes adolescentes se sentent obligées d'être toujours prêtes pour un portrait Instagram.
Si cette éventualité leur semble irréalisable ou insupportable, elles peuvent croire ne pas pouvoir être de « vraies filles » et battre en retraite en s'auto-désignant comme de sexe masculin ou non binaire.
C'est le nouveau phénomène le plus déprimant que j'aie connu de ma vie. Je suis assez âgée pour me souvenir de l'époque où l'on disait aux filles qu'elles étaient des êtres humains à part entière et que, dans les limites de la force physique et des faits liés à la reproduction, elles pouvaient faire n'importe quoi. Aujourd'hui, on dit aux filles - sur les médias sociaux et dans les salles de classe - que ce qui fait de quelqu'un une fille, c'est de se sentir fille. Et qu'est-ce que "se sentir fille" ? C'est la somme de tous les stéréotypes sexistes et dépassés auxquels vous pouvez penser. Aujourd'hui, accepter d'être une fille, c'est accepter de ne pas être un être humain à part entière, tout aussi responsable de son destin que ne le sont les garçons.
Et pour ajouter un dernier rebondissement scandaleux à cette histoire, nous savons que parmi les enfants qui demandent à changer de sexe, ceux et celles qui sont destinés à devenir des adultes homosexuels sont largement surreprésentés. Au lieu de grandir heureux, en bonne santé et orientés vers les personnes de leur sexe, elles et ils sont transformés en patients médicaux permanents - et en fac-similés stériles et anorgasmiques du sexe opposé.
Il ne m'échappe pas que cela est censé les rendre « hétérosexuels » et, après des opérations de chirurgie du genre, des êtres désexués par castration, une punition qui dépasse les rêves les plus fous des homophobes les plus vicieux du passé.
Nous devrions dire à ces précieux enfants non conformes au genre qu'elles et ils sont beaux tels quels. Que les garçons peuvent porter des jupes, se maquiller et se laisser pousser les cheveux. Qu'ils peuvent jouer à la poupée et faire du ballet. Que les filles peuvent grimper aux arbres, jouer dans la boue, avoir les cheveux courts ou devenir camionneuses. Que filles et garçons peuvent aimer qui leur plaît. Qu'il importe peu qu'un garçon soit « efféminé » ou qu'une fille soit « garçonne » - le garçon demeure un garçon et la fille une fille.
Au lieu de cela, nous disons aux enfants que, faute de se conformer aux lois du genre, il y a quelque chose de profondément anormal chez eux. Que si une fille n'est pas très féminine, c'est qu'elle est probablement un garçon, et vice versa. On prétend que ces enfants n'ont pas simplement besoin de temps, d'espace et de compréhension, mais que leur corps doit être "réparé" à l'aide de médicaments et d'opérations chirurgicales. De tous les mensonges sur l'identité de genre, celui-ci est le plus cruel.
Il ne s'agit pas d'un simple scandale médical classique, mais d'une « thérapie de conversion » gay au sens le plus vrai et le plus catastrophique du terme. Et ce n'est même pas la seule façon dont cette idée toxique blesse les personnes homosexuelles.
S'il n'y a pas de signification stable du sexe, il ne peut y avoir de signification stable de l'orientation sexuelle. Un hétérosexuel qui s'identifie à une femme devient une lesbienne - et tant pis pour les lesbiennes réelles qui ne voient pas les choses de cette façon. Dire aux lesbiennes qu'elles doivent « surmonter » leur aversion pour les corps masculins relève également de la thérapie de conversion. C'est la version postmoderne de l'argument que l'on servait traditionnellement aux lesbiennes: qu'elles avaient simplement besoin d'une bonne baise pour se remettre d'aplomb.
Les règles et les lois sont écrites avec des mots. Et si les mots perdent leur sens, les règles et les lois le perdent aussi. C'est ce que veulent les théoriciens queer, qui pensent que les frontières et les catégories sont en soi destructrices et que leur abolition est libératrice.
La destruction du sens ne s'arrêtera pas au sexe. Nous voyons déjà la recherche scientifique corrompue par la destruction des catégories sexuées. Si l'on efface la différence entre l'homme et la femme, combien de temps pourra-t-on maintenir les distinctions entre la santé et la maladie, entre les organes qui fonctionnent correctement et ceux qui ne fonctionnent pas ? Combien de temps pourrons-nous conserver l'idée que certaines choses sont objectivement meilleures que d'autres ?
Cette situation a suffisamment dégénéré. Nous ne pouvons et ne devons pas nous laisser détourner par des mensonges, surtout lorsque ces mensonges portent sur un aspect fondamental de la condition humaine. Si nous ne nous levons pas maintenant, où cela finira-t-il ?
Le prix de la liberté est une vigilance éternelle. Mais dire la vérité à une époque de tromperie a aussi un prix. Nous n'avons pas - encore - atteint le point où la vérité sur les deux sexes est impossible à dire. Mais c'est la direction dans laquelle nous allons.
Je sais que, dans ce pays, l'on menace de sanctions ce qu'on appelle le « mégenrage », mais les Allemands, comme tous les autres Européens, jouissent encore des droits humains énumérés dans la Convention européenne des droits de l'homme. Ces droits comprennent la liberté de croyance et d'expression, et une jurisprudence abondante reconnaît la liberté d'expression comme l'un des fondements des droits de l'homme, car sans elle, il est impossible de défendre d'autres droits.
L'État peut affirmer qu'un homme peut être une femme, mais nous, les individus qui savons que c'est faux, devons refuser de prononcer ce mensonge et nous battre à chaque étape du processus si l'État tente de nous y contraindre.
Ils prétendront que nous avons des préjugés ou que nous sommes malveillantes, ce qui est loin d'être le cas. La véritable malveillance est d'insister sur un mensonge qui cause autant de tort.
Quelle que soit la loi, voici ce que je continuerai à dire :
Aucun homme ne peut être une femme, et aucune femme ne peut être un homme. Personne n'est non-binaire.
Je dirai ces choses, parce que je ne crois pas aux mensonges.
Et il y a une raison pour laquelle je n'y crois pas : c'est parce qu'ils sont faux. Un bout de papier ou une déclaration personnelle ne peuvent pas changer le sexe des gens, pas plus qu'ils ne peuvent rendre une personne morte vivante ou une personne vivante morte, ou qu'une loi ne peut rendre la Terre plate au lieu d'être ronde.
Si quelqu'un d'autre veut croire qu'un homme est une femme, qu'une personne morte est vivante ou que la Terre est plate, cette personne est libre de le croire et de l'exprimer, mais dans aucun de ces cas, les positions opposées ne sont égales. L'une est juste et l'autre est fausse
Et il est important de dire celle qui est juste, parce que la vérité est importante. Pour des soins de santé et une recherche scientifique de qualité. Pour une bonne gouvernance et une élaboration judicieuse des politiques publiques. Pour la protection des enfants. Pour la protection des droits humains de chacun, et plus particulièrement celle des droits des femmes, des enfants et des homosexuels.
Je comprends que pour certains, le prix à payer pour dire la vérité sera trop élevé. Tout le monde ne peut pas être révolutionnaire. Mais celles et ceux d'entre nous qui peuvent s'exprimer doivent le faire - sinon, on ne verra bientôt plus personne capable de le faire.
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